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fonctionnaires russes, de médecin de bonne volonté pour en tenter la guérison. L’entreprise semblait trop hasardeuse. Nicolas Alexèiévitch revint juste à point pour en être chargé.


I

Nicolas Milutine rentra en Russie à la fin de l’été de 1863. Le jour même de son arrivée à Saint-Pétersbourg, le 25 août[1], il apprenait que, le grand-duc Constantin étant rappelé de Pologne, on devait mettre à la tête de l’administration du royaume un nouveau personnage. Dès le lendemain, 26 août, Nicolas Alexèiévitch recevait de Tsarskoé-Sélo la visite de son frère, le général Dmitri Milutine, alors comme aujourd’hui ministre de la guerre. Le général lui confirmait le bruit d’un changement à Varsovie et l’informait en même temps que c’était sur lui, Nicolas Alexèiévitch, que s’était définitivement fixé le choix de l’empereur pour la direction des affaires de Pologne.

Plusieurs fois dans le cours de l’année, aux mauvaises nouvelles qu’il recevait du royaume, Alexandre II avait paru regretter d’avoir cédé aux instances du grand-duc Constantin et des partisans de l’autonomie polonaise. « Si j’avais tenu bon et nommé Nicolas Milutine, comme c’était mon désir, disait-il parfois, tout cela ne serait pas arrivé. » L’explosion et la diffusion de l’insurrection, l’impuissance du gouvernement de Varsovie, l’isolement moral du grand-duc et du marquis Wiélopolski avaient peu à peu confirmé l’empereur dans ses vues sur la nécessité d’un changement de régime et d’un changement de personnes. Durant le mois d’août, il s’était plusieurs fois informé avec impatience du retour de Nicolas Milutine. D’après ses instructions, le chef de la me section, le prince V. Dolgorouky, tenait tout prêt un ordre de rappel pour le cas où Nicolas Milutine aurait trop tardé à rentrer dans sa patrie.

Cette nouvelle fut pour Nicolas Alexèiévitch comme un coup de foudre. Les raisons qui lui avaient fait repousser tout poste en Pologne l’année précédente n’avaient rien perdu de leur force, l’insurrection n’avait fait qu’accroître les difficultés de la situation. Milutine, encore sous le coup des fatigues du voyage, refusait de croire qu’il pût être chargé d’une pareille tâche ; mais cette fois il ne devait pas réussir à l’éviter. En vain cherchait-il à s’endormir dans une fausse sécurité et faisait-il effort pour se livrer à la joie du retour au milieu de ses amis. Le bruit de sa nomination à Varsovie courait dès le lendemain de son arrivée de bouche en bouche dans la

  1. Les dates données ici sont naturellement celles du calendrier russe, en retard, comme on le sait, de douze jours sur le nôtre.