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succès, du moins un mécompte pour la coalition, disait non sans un peu de moquerie à M. Guizot qu’on ne pouvait sortir de l’impasse où l’on se trouvait qu’avec « un ministère neutre, un ministère où les grands amours-propres n’auraient pas à se débattre. » Un ministère neutre, c’était possible sans doute au 12 mai, peut-être pour quelques mois dans un intérêt d’apaisement intérieur ; c’était d’une efficacité douteuse, d’une durée problématique dans un moment où les affaires sérieuses ne manquaient pas, où la question d’Orient se réveillait tout entière par la bataille de Nezib (juin 1839), qui faisait du vice-roi d’Égypte, Mehemet-Ali, l’arbitre de l’empire ottoman, qui remuait la diplomatie européenne en soumettant à une singulière épreuve les rapports de la France avec les autres puissances, surtout avec l’Angleterre.

Le ministère lui-même, sans manquer de bonnes intentions, de la volonté de vivre, ne s’y méprenait pas ; il sentait ce qu’il y avait pour lui de difficile à se créer une certaine indépendance, une politique, à se frayer un chemin entre les chefs du parlement. On instant, il croyait s’être délivré à demi en offrant l’ambassade de Londres à M. Guizot, qui l’acceptait, après quelques difficultés opposées par le roi désireux de maintenir à Londres un ambassadeur de son choix, le général Sébastiani. Pour M. Thiers, le même moyen avait été essayé au plus vif des négociations du mois d’avril, avant la naissance du cabinet ; il avait été employé avec trop peu de tact et trop peu de succès pour pouvoir être repris. M. Thiers restait dans la chambre, assez réservé le plus souvent, prenant néanmoins la parole avec éclat sur la politique extérieure, sur la question orientale, — et alors paraissant dominer le gouvernement par ce qu’on appelait un discours ministre. La vérité est que tout pouvait dépendre d’un incident, et à peine la session de 1840 venait-elle de s’ouvrir, l’incident ne manquait pas. Le ministère du 12 mai 1839 disparaissait brusquement comme il était né, non dans un débat public, mais dans une rencontre obscure, devant un vote silencieux par lequel la chambre repoussait une dotation proposée pour M. le duc de Nemours. Les ministres du 12 mai, selon un mot spirituel, avaient été « étranglés entre deux portes par des muets, » et cette fois, dans l’éclipsé soudaine d’un cabinet plus honnête que puissant, M. Thiers se trouvait appelé par la force des choses, par une dernière et éphémère victoire de la coalition, à entrer au gouvernement en chef d’opposition, en représentant, avoué de la prééminence parlementaire. Il y entrait avec quelques-uns de ses amis, nouveaux encore aux affaires, M. de Rémusat, M. Vivien, M. Cousin, le comte Jaubert, M. Pelet (de la Lozère). Il formait ce qu’il appelait gaîment, lui qui n’avait guère plus de quarante ans, un « cabinet de jeunes gens, » pour jouer