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création de trois degrés de juridiction, des juges de paix répandus dans les campagnes, un tribunal par district, une cour supérieure par province, des magistrats inamovibles et nommés par le roi sur une liste de trois candidats présentés par les assemblées provinciales, tels étaient les principes, alors nouveaux, proclamés trois mois après la réunion des états-généraux et qui semblent aujourd’hui l’écho presque banal d’une vérité démontrée. Ce projet, qui nous offre la pensée de la nation dans ce qu’elle avait de plus pur, fut battu en brèche par ceux qui voulaient tirer des événemens toutes leurs conséquences. Ce serait écrire une page de l’histoire de la révolution, et ce ne serait ni la moins neuve, ni la moins intéressante, que de tracer le résumé des mémorables débats qui s’engagèrent sur l’ordre judiciaire. Dès le commencement de 1790, Thouret proposait, au nom du comité de constitution, le choix de deux candidats par tous les électeurs du district ; bientôt cette dernière concession ne suffisait plus et, après une discussion que personnifient les noms de Cazalès, de Barnave et de Mirabeau, l’élection directe des juges était votée par 503 voix contre 450.

Ces discussions solennelles, dont le temps, après un siècle, n’a pas affaibli l’éclat, aboutirent à une organisation judiciaire dans laquelle figuraient les juges de paix, les tribunaux de district, le jury criminel et le tribunal de cassation, mais d’où étaient exclues les juridictions d’appel, les recours étant jugés par les tribunaux de districts exerçant sur eux-mêmes une révision mutuelle. Ce fut dans l’hiver de 1790 à 1791 que fut mis en mouvement le système électif qui viciait si profondément la nouvelle organisation. Les assemblées primaires composées de tous les citoyens actifs âgés de 25 ans, domiciliés depuis un an dans le canton, et payant une contribution directe de la valeur de trois journées de travail, élurent leurs juges de paix ; elles choisirent en outre, à raison d’un pour cent citoyens actifs, l’électeur du second degré parmi ceux qui payaient une contribution égale à dix journées de travail. C’était la centième partie des citoyens qui nommait les juges. Dans le plus grand nombre des départemens, les élections furent compromises par l’indifférence ou par la passion, d’où sortirent des incapables ou des violens. On se tenait pour heureux quand le juge n’était que médiocre. A Paris, où les ardeurs politiques étaient si intenses, sur 90,000 citoyens actifs il n’en vint que 18,000, mais c’étaient les plus honnêtes bourgeois de la ville. ils désignèrent 900 électeurs du second degré. Au lendemain de la fédération, les violences populaires n’avaient pas encore aigri les cœurs. La première élection fut faite avec l’entraînement naïf des enthousiasmes de 1789. L’élite des électeurs de Paris, choisissant l’élite des jurisconsultes, envoya au tribunal des membres du