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premier président Muraire, mis à la retraite. Huit conseillers, dont quatre régicides, étaient exclus. Merlin était écarté. La cour de cassation achetait au prix de ces épurations la garantie définitive d’une inamovibilité qu’elle n’a plus perdue. Le 4 mars, la cour des comptes recevait l’investiture dans une séance solennelle, et le chancelier déclarait que le roi n’avait eu aucun changement à faire dans la composition d’une cour dont tous les magistrats étaient dignes de « recevoir le sceau de l’inamovibilité. »

A l’heure même où, sous les voûtes du palais de justice, le chancelier Dambray recevait paisiblement le serment des membres de la cour des comptes et écoutait les harangues des magistrats que l’empire avait nommés et qui n’avaient pas assez d’objurgations pour le maudire, Napoléon était depuis trois jours sur le sol de la France. Pour le succès de sa téméraire entreprise, il était attentif à se servir de toutes les causes de mécontentement soulevées par les Bourbons. Dès ses premiers pas, il trouva la magistrature si blessée des hésitations malveillantes du gouvernement, les doléances des cours de Grenoble et de Lyon furent si vives qu’il voulut leur donner satisfaction par le premier décret impérial qu’il signa à Lyon, le 13 mars. « Considérant, dit-il, que par les constitutions de l’empire les membres de l’ordre judiciaire sont inamovibles, il est décrété que tous les changemens arbitraires opérés dans les cours et tribunaux sont non avenus. » Telles avaient été les incroyables maladresses de la restauration qu’avec les intentions les plus droites, la résolution la plus ferme de donner aux justiciables et aux juges des garanties d’impartialité que n’avait jamais connues le despotisme, elle permettait après onze mois de pouvoir à l’auteur des décrets de 1807 et de 1810 de se dire le protecteur de l’inamovibilité. Il est vrai que, dès le lendemain de son arrivée à Paris, il révoquait le premier président Séguier et le président Try, donnant ainsi un démenti au décret de Lyon. Les destitutions ne suffisaient même pas : comme un conseiller à la cour de Paris, alors obscur, M. Decazes, avait refusé de se joindre aux félicitations officielles, il reçut un ordre d’exil.

Les adresses des cours impériales se succédèrent ; mais par une nouveauté qui devait surprendre les oreilles du maître, les magistrats acclamaient non-seulement l’indépendance nationale, mais, fidèles échos des convictions de la bourgeoisie française, ils appelaient de leurs vœux les libertés publiques, et l’établissement des garanties constitutionnelles.

L’acte additionnel aux constitutions de l’empire, en déclarant que les juges étaient inamovibles et à vie dès l’instant de leur nomination, ajournait encore pour les juges en exercice le bénéfice de l’inamovibilité jusqu’à la collation des provisions, qui devait avoir