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glisser le pouvoir, aux mains des violens, et la résolution de la chambre des députés fut rejetée, le 19 décembre, par 91 voix contre 44.

La magistrature était sauvée de la tempête qui la menaçait : elle avait échappé à la crise la plus grave qu’elle eut eu à subir, mais il lui restait à traverser les caprices de l’investiture royale.

Cette mesure, qui semblait insuffisante aux fougueux royalistes, permettait au pouvoir d’étendre la main sur tous les sièges. Les libéraux, à chaque exclusion de magistrats, poussèrent des clameurs, et nul d’entre eux n’en a perdu la mémoire. L’épuration des corps judiciaires, accomplie par l’investiture, l’inamovibilité suspendue en fait pendant vingt mois et menacée dans son principe, les ultras projetant un bouleversement plus complet encore et succombant dans leur imprudente entreprise, tels furent les griefs que, dans. tout le cours de la restauration, l’opposition ne se lassa pas de rappeler. Députés, historiens, publicistes s’accordèrent à flétrir ces épurations. Leur souvenir odieux sauva peut-être la magistrature menacée en d’autres temps par des partis différens animés de passions semblables. Ni le duc de Broglie, ni M. de Vaulabelle, ni M. Jules Favre ne pardonnèrent à la restauration une faute dont, à leurs yeux, elle ne s’était jamais justifiée.

On retrouve ce sentiment des contemporains dans la vivacité avec laquelle l’institution des juges-auditeurs fut attaquée en 1828 et en 1829. Créés sous l’empire en 1808, ces juges pouvaient être envoyés d’un tribunal à un autre dans le ressort de la cour à laquelle ils étaient attachés ; jusqu’en 1820, le ministre de la justice, ne parut pas se douter du parti qu’il pouvait tirer de ces magistrats volans ; mais il ne tarda pas à le comprendre : une ordonnance développa leur rôle, et près de six cents furent nommés de 1821 à 1828. Nul ne pouvait contester que le ministère eût eu un but politique et qu’une atteinte eût été portée au principe d’inamovibilité. Ces réclamations parties, de tous côtés parvinrent jusqu’à la chambre qui venait d’être élue en 1823, et un projet de loi supprimant les auditeurs fut promis par le ministère Martignac. MM, de Villèle et de Peyronnet avaient forcé. tous les ressorts du pouvoir afin de lutter contre le flot montant des idées libérales. Affectation de choisir les magistrats parmi d’anciennes familles, dédain des barreaux, dont le libéralisme était suspect, envoi des magistrats du ministère public d’une extrémité à l’autre du royaume, emploi habile des auditeurs, tout avait été mis en œuvre pour briser l’indépendance de la magistrature. Spectacle singulier ! tant d’efforts furent impuissans : malgré les nominations de royalistes, l’esprit de corps l’emporta sur l’esprit de parti. Les magistrats se formaient aux mœurs constitutionnelles. Aux lamentations des