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Martignac, condamna l’institution : « Il semble, disait M. Bourdeau, que tous les efforts du pouvoir ont été concertés, tous les moyens pris pour avoir une classe docile de magistrats, à l’aide de laquelle la majorité d’une chambre pût être arrangée suivant les intérêts ou les inspirations politiques du moment. Les députés n’eurent pas de peine à s’associer à son langage, et la loi fut votée avec cette distinction que les juges auditeurs seraient sur-le-champ supprimés, tandis que l’institution des conseillers auditeurs devait disparaître par voie d’extinction.

Mais l’intérêt n’était pas absorbé dans ces minces détails. Quel était l’esprit des corps judiciaires ? Dans quelle mesure étaient-ils dévoués au passé ? Comment pourrait-on modifier leurs tendances ? Avait-on bien fait de repousser une institution nouvelle ? Ne serait-il pas possible de revenir sur le vote du 7 août ? Tels étaient les doutes que soulevaient à tout instant, dans la gauche, les députés les plus attachés au nouveau gouvernement.

Pendant que ces débats avaient lieu à Paris, l’agitation, fort vive en province, était loin de s’apaiser. Les mois d’août et de septembre avaient vu les ordonnances de nomination se succéder au Moniteur sans que l’impatience publique fût satisfaite. C’est le malheur des gouvernemens nouveaux de demeurer bien au-dessous de l’attente de leurs amis et d’être condamnés à multiplier les déceptions à mesure qu’ils accordent des faveurs. Les ambitions de tous ceux qui avaient concouru aux élections libérales de 1828, qui avaient été persécutés par le ministère du coup d’état et qui avaient lutté pour la réélection triomphante des 221 étaient surexcitées à tel point que le garde des sceaux, les ministres et les députés étaient assiégés de sollicitations qui prenaient parfois le ton de la sommation. Il se trouva de mauvaises têtes qui imaginèrent de provoquer des incidens bruyans pour faire céder la chancellerie. A Metz, lors de l’installation, des magistrats furent insultés, on menaça de les arracher de leur siège, on demanda leur démission avec violence. A Poitiers, des démonstrations de blâme public eurent lieu contre une partie des conseillers. A Nancy, où la prestation de serment s’était faite sans trouble, où la cour était entourée du respect public, les têtes s’étaient montées pendant les vacances judiciaires ; on avait vu de nombreuses démissions données dans plusieurs cours royales ; on avait compté les succès d’un barreau qui semblait avoir été oublié ; on se demanda s’il était juste que Nancy n’eût pas aussi « sa révolution judiciaire. » Quelques jours avant la rentrée, huit magistrats reçurent avis d’avoir à donner leurs démissions sous peine d’être exposés à la mort. L’audience de rentrée, à laquelle le barreau refusa d’assister, fut troublée par des manifestations ; des sifflets accompagnèrent les conseillers, des