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frontières, et particulièrement sur Metz, que menaçait l’ennemi sous le coup des colères soulevées par le retour de l’île d’Elbe. Croyant, ou peut-être feignant de croire que cette démonstration patriotique implique une adhésion au second gouvernement de Napoléon, Davout écrit à Oudinot sur le ton de leur ancienne camaraderie pour le féliciter et l’engager à persévérer de la part de l’empereur, dont, lui dit-il, il lui transmettra désormais les ordres. La réponse d’Oudinot, écrite avec la même familiarité, ne se fait pas attendre. Affirmative sur le point de la défense patriotique du territoire, elle repousse toute adhésion au gouvernement de Napoléon avec une franchise quelque peu balbutiante et une dignité mêlée d’un certain trouble assez naturel en telle circonstance à un duc et maréchal de l’empire. Immédiatement toute familiarité cesse du côté de Davout, le tutoiement disparaît, et sans essayer d’une gronderie ou d’une supplication amicale où il aurait compromis son caractère et son autorité, il expédie à son vieux camarade l’ordre de se retirer dans ses terres en Lorraine avec la plus froide politesse administrative.

Le second exemple est plus significatif encore. Davout avait été en longues et bonnes relations avec Rapp, qu’il avait couvert plusieurs fois contre les boutades souvent brutales et injustes de Napoléon pendant que ce général commandait à Dantzig. Or, un jour de cette même année 1815, dans une heure de mauvaise humeur, Rapp, ayant envoyé à Davout une réclamation à propos d’un certain officier s’en attira cette réponse, dont la verdeur ne laisse rien à désirer et qui mérite d’être citée comme exemple de la fermeté avec laquelle Davout savait imposer le respect, même aux hommes les plus rapprochés de lui dans l’échelle hiérarchique.


6 mai 1815.

Mon cher Rapp, je me suis borné à vous envoyer la commission de l’officier Thabet, mais je vous déclare d’amitié que, si je recevais une seconde lettre de ce style, je cesserais d’être ministre de la guerre ou vous cesseriez de commander un corps d’armée. Vous n’avez pas fait dans cette circonstance preuve de sagacité. Vous devez me connaître assez pour savoir que de pareils moyens sont indignes de mon caractère. Je ne connais cet officier ni d’Eve ni d’Adam ; j’ai signé sa commission, comme tant d’autres, de confiance. S’il est indigne de porter notre uniforme, adressez-moi des plaintes, il en sera fait justice. S’il n’est pas en état d’être officier d’état-major, faites-le connaître, on le changera. En attendant, employez-le où vous le jugerez à propos ; mais point de ce style ni de cette manière d’agir. Je vous le répète, je ne le souffrirai pas.

Depuis les jours de sa jeunesse où il avait vu périr à de si courts