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importantes de ses finances. Comme elle se mêle un peu du métier et qu’elle prétend avoir apprécié les talens de M. Necker depuis longtemps, elle m’a fait à cette occasion l’éloge le plus touchant d’un jeune roi qui sait faire de pareils choix. Ensuite est venu l’esprit de prophétie qui possède toujours plus ou moins les gens du métier et qui m’a prédit les suites naturelles de ce choix. Sur ce point, je me suis trouvé parfaitement d’accord avec Sa Majesté. Ensuite elle m’a demandé ce que vous diriez de cet événement. Je lui ai promis, madame, de vous le demander et de lui lire votre réponse. Ensuite elle m’a appris que tout le public de Paris avait infiniment applaudi le choix du roi, de sorte que le public, l’impératrice et moi nous sommes d’accord avec le roi très chrétien. De tout cela est résultée une conversation où l’impératrice m’a laissé entrevoir ses principes et ses procédés dans l’administration des finances, et comme l’ordre qu’elle y a mis et les ressources qu’elle a su y trouver, en soulageant d’année en année ses peuples, ne sont pas ce qu’il y aura de moins mémorable dans son règne, je dois en dernier ressort, au choix que le roi a fait de M. Necker, une séance des plus intéressantes et une soirée des plus agréables. J’ai de ces séances une ou deux par jour et je passe ma vie à entendre les principes du grand art de gouverner. Si ma mémoire était assez fidèle et que j’eusse assez de talent pour écrire ces conversations avec cette variété de tons et de couleurs qui s’y fait sentir à chaque trait, j’aurois fait un des livres les plus extraordinaires et les plus piquans de ce siècle. Il n’y a qu’un seul grand inconvénient à ma manière de vivre actuelle, c’est de voir l’impératrice trop souvent, car ordinairement, depuis midi jusqu’à neuf ou dix heures du soir, il n’y a guère que deux heures où elle ne me voit pas, d’où il arrive que plus je la vois, plus je m’y attache et qu’elle se lassera d’autant plus vite de moi qu’elle me voit trop souvent. Il lui restera le parti de me renvoyer quand la satiété sera arrivée et à moi celui de me rappeler toute ma vie avec reconnoissance mon bonheur et ses bontés.


La satiété sans doute étant venue, et Grimm de retour en France, « le céleste baron, » comme l’appelait Catherine, continua ce bon office de transmettre à M. et Mme Necker les complimens de l’impératrice et ceux des princes avec lesquels il était en correspondance habituelle. Tout en trouvant que « les finances du roi très chrétien étaient une matière tout à fait dégoûtante, » Catherine suivait avec intérêt les réformes de M. Necker et elle ne doutait nullement « que le ciel ne l’eût destiné à tirer les finances de la France de l’état très embarrassé où il les avait trouvées. » — « Pauvres gens ! écrivait-elle à Grimm sur le bruit assez frivole que M. Necker avait fait scandale par son apparition en bottes fortes dans les galeries de Versailles, pauvres gens ! des gens non bottés ne peuvent