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de clés. Il semble même qu’il ait pris un malin plaisir à leur tendre des pièges, à les lancer sur de fausses pistes, et à les dérouter complètement. L’action d’Endymion embrasse la période comprise entre la mort de Canning et la mort de lord Palmerston ; elle se passe uniquement dans les régions ministérielles et parlementaires ; tous les personnages appartiennent au monde politique. Comment ne pas céder à la tentation de faire des portraits, surtout lorsqu’on y excelle, qu’on n’a qu’à interroger une mémoire inexorablement fidèle, qu’à lâcher la bride à un esprit aiguisé et naturellement tourné à l’épigramme ? Lord Beaconsfield s’est surveillé lui-même. Il a dû emprunter aux gens qu’il a connus et pratiqués bien des traits de caractère : la plupart des incidens du roman doivent avoir pour origine des anecdotes demeurées dans la mémoire de l’auteur, mais celui-ci mêle les couleurs et les époques de façon à rendre toute application directe impossible. Quelques traits de ressemblance vous frappent ; vous êtes tenté de mettre un nom de personnage ; mais ni les dates ni les faits ne concordent. L’original que vous croyez reconnaître n’était pas encore entré sur la scène politique ou il en avait disparu au moment où l’auteur lui fait jouer un rôle actif ; ou il n’appartenait pas au parti dont il est représenté comme l’homme le plus important, ou il était un parvenu, et l’auteur en a fait, un grand seigneur. Quand vous voyez entrer en scène deux frères, tous deux disciples de Bentham, dont l’un se destine à la carrière parlementaire et l’autre à la diplomatie, M. Bertie Tremeine et M. Tremeine Bertie, on ne peut se défendre de songer aux deux frères Bulwer Lytton et Lytton Bulwer ; mais aucun des incidens où figurent ces deux personnages épisodiques ne peut se concilier avec l’histoire des deux hommes distingués qui ont été les amis de lord Beaconsfield, et celui-ci s’est évidemment joué de ses lecteurs. Quand l’auteur met dans la bouche d’un diplomate, homme d’état éminent, cette réflexion, « qu’un gouvernement qui périt par les finances est un gouvernement imbécile, » et cette déclaration, que « l’Europe ne sera refaite que par le fer et le sang, » on s’écrie tout aussitôt que le comte de Ferroll ne peut être que M. de Bismarck ; mais la carrière politique du célèbre chancelier avait à peine commencé au moment où se termine l’action d’Endymion. Quand ce même comte de Ferroll parle de sa patrie opprimée, lorsqu’il compte sur Napoléon III pour délivrer ses compatriotes du joug étranger, n’est-il pas M. de Cavour tout autant que M. de Bismarck ?

Qui reconnaîtrons-nous dans Nigel Penruddock, le brillant lauréat de l’université d’Oxford, le puséyste ardent et convaincu, dont la parole de flamme ravit toutes les grandes dames et remue