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suffisent à l’auteur pour marquer d’un seul trait, net et précis, la nuance qu’il veut faire saisir. Les nombreux personnages du roman vont et viennent et parfois semblent mis en oubli : il n’en est pas un seul qui ne reparaisse, au moment nécessaire, pour donner la note juste. La plume de lord Beaconsfield court alerte, railleuse et en belle humeur, elle semble voltiger d’un sujet à l’autre, et pourtant elle ne s’écarte jamais du but, il est impossible de mettre plus heureusement en pratique le précepte si méconnu de notre génération d’écrivassiers : Glissez, n’appuyez pas. Ce côté d’Endymion est évidemment le moins intéressant pour le lecteur anglais, qui connaît ou croit connaître la peinture que l’auteur met sous nos yeux ; mais l’étranger à qui les livres n’ont montré des choses anglaises que la surface et qui désirera savoir par le menu ce qu’a été le gouvernement parlementaire chez nos voisins, sera édifié en même temps que diverti.


III

Qu’on ne s’étonne point si nous n’avons pas encore parlé du héros, d’Endymion lui-même. A dire vrai, il tient peu de place dans le roman, et son rôle est tout à fait secondaire. On sait que lord Beaconsfield aime à prendre ses héros au berceau, à faire suivre au lecteur la formation de leur caractère, à montrer en action toutes les influences matérielles ou morales qui peuvent présider au développement de leurs sentimens et de leurs facultés. Non-seulement il n’a point dérogé à cette habitude, mais cette fois il a remonté jusqu’au grand-père de son héros. Essayons de résumer brièvement cette histoire de trois générations. Un simple employé de ministère, par son assiduité, son application, les aptitudes dont il fait preuve, attire l’attention de Pitt. Le grand ministre le prend en affection et lui fait faire un chemin rapide. On lui procure un siège dans la chambre des communes : le voilà enrôlé dans le parti tory. Son instruction, ses talens, les services qu’il rend à son parti, lui valent d’être appelé à un poste dans le gouvernement, à la direction de quelque service public qui ne donne point entrée au cabinet. Il se retire avec une pension, une honorable aisance et le titre de conseiller privé. Son fils, William Ferrars, doit à la position officielle de son père de jouir des avantages qu’une fortune patrimoniale assure aux rejetons des grandes familles : il est élevé à Eton ; il prend ses degrés à Oxford, où il se signale par ses succès littéraires. La protection d’un grand seigneur tory le fait entrer à la chambre des communes dès qu’il a atteint l’âge réglementaire. Éloquent, instruit, laborieux,