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trouve rien à redire à ces fortunes faciles, à ces victoires de la beauté ; elles sont un encouragement pour les femmes, elles sont, pour les hommes, un sujet d’amusement. Il en est autrement pour notre sexe, qui a reçu dans son lot le travail et la lutte. Ni la considération ni la sympathie ne s’attachent aux fortunes rapides que n’expliquent ni le mérite ni le labeur personnel. Au lieu de nous parler, çà et là, du savoir et des talens d’Endymion, l’auteur aurait mieux fait de nous le montrer à l’œuvre. Que nous présente-t-il au contraire ? Un jeune secrétaire qu’un ministre bienveillant initie à la vie politique et à tous les secrets des coulisses parlementaires, un candidat dont une grande dame règle le langage et dirige les démarches, un député dont le chef de l’opposition rédige les motions et prépare les discours. Que me parlez-vous donc d’un homme ? je n’aperçois qu’un pantin.

Nous avons une autre critique à adresser à ce favori des dames et de la fortune. Au jour décisif de son existence, quand il s’agit de se présenter pour la chambre des communes, Endymion fait son calcul : il vient de perdre les 300 livres sterling qu’il recevait comme secrétaire particulier de Sydney Wilton ; il lui reste 300 livres sterling comme chef de bureau ; s’il sacrifie sa place pour entrer au parlement, avec quoi vivra-t-il ? Il a donc résolu de demeurer chef de bureau et de renoncer à la députation, et il annonce sa détermination. En entrant chez lui, il trouve un pli cacheté à son adresse : c’est un titre nominatif constatant l’emploi en fonds consolidés d’un capital de 20,000 livres sterling. Ce cadeau anonyme le met à la tête de 15 à 20,000 francs de rentes. Endymion attribue cet envoi à la comtesse de Montfort, chez laquelle il court, pour la supplier de reprendre ce titre de rentes. La comtesse le détrompe ; elle n’est pour rien dans cet envoi dont elle s’applaudit ; c’est l’existence assurée, c’est l’indépendance, c’est la liberté de se présenter aux électeurs ; il ne faut plus s’occuper que du succès de sa candidature. Endymion se laisse aisément convaincre ; il devient candidat, il est élu député ; il prend un joli appartement, il a un valet de chambre, un brougham et un excellent trotteur ; et il ne s’inquiète pas plus des 500,000 francs que s’il les avait trouvés dans l’héritage paternel. Ah ! jeune homme, que vos scrupules ont été aisément levés, et votre perspicacité facile à mettre en défaut ! Pourquoi avez-vous songé à lady Montfort et à elle seule, comme s’il était vraisemblable qu’une femme mariée, si large que son mari fût vis-à-vis d’elle, pût disposer d’un capital aussi considérable ? Pourquoi n’avez-vous pas consulté votre excellent ami, le banquier Neuchâtel, nécessairement expert en emploi de capitaux et en acquisition de rentes ? Non, votre fierté s’est soumise à accepter le cadeau d’une fortune ; votre cœur s’est