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à peu les exigences populaires réduisirent la période, et la majorité des états a soumis tous les deux ans les juges de paix à la réélection.

Pour les cours de justice, l’impulsion s’est manifestée plus tard, mais n’a pas été moins générale ni moins violente. A l’origine de la confédération, dans certains états le gouvernement et le sénat, dans d’autres la législature seule, choisissaient les juges. Hors le cas d’inconduite, les magistrats étaient permanens, sauf en trois états. C’est à New-York que nous voyons poindre le mouvement de réaction contre les juges permanens nommés par le pouvoir exécutif. En 1846, leur élection fut soumise au peuple. En dix ans, quinze constitutions avaient suivi l’exemple de New-York, et aujourd’hui il n’y a pas moins de vingt et un états qui ont livré au suffrage populaire l’élection des magistrats.

Si les juges choisis par le peuple étaient montés sur leurs sièges pour n’en plus descendre, l’inamovibilité aurait créé avec le temps une indépendance qui aurait atténué les vices de leur origine, mais la condition des magistrats issus de l’élection est de ne pouvoir demeurer longtemps sur leurs sièges. La souveraineté populaire qui les a créés veut les soumettre à sa dépendance. La perspective de la réélection doit maintenir le juge dans les liens de la servitude en lui montrant le sort qui l’attend, s’il ne conserve pas les faveurs populaires. Les juges dans la première période avaient été institués à vie, c’est-à-dire tant que durerait leur bonne conduite ; bientôt le terme fut réduit à sept ans, puis à cinq et enfin en certains états à deux années. C’est la pente naturelle des démocraties de livrer à l’élection toutes les charges de l’état et d’aspirer à rendre la durée des emplois de plus en plus courte. C’est en même temps le châtiment des nations qui ne savent opposer aucune digue au courant populaire, devoir leurs institutions empoisonnées par la corruption. Les États-Unis n’ont pas échappé à la loi commune. Tandis que les magistrats des cours fédérales, nommés par le pouvoir exécutif sous le contrôle du sénat, demeuraient liés fidèles gardiens de la charte américaine, que leur justice était entourée du respect public, les juges chargés d’administrer la justice locale, issus de scrutins politiques, après des luttes dans lesquelles leur dignité était compromise, devenaient les serviteurs de la majorité, les obligés et les complices des partis. Sont-ce les détracteurs de la société américaine qui s’expriment de la sorte ? Nullement : c’est aux plus éminens jurisconsultes qu’est emprunté ce sévère jugement. Ils nous apprennent que la valeur morale des juges vaut celle des suffrages qui les nomment. De nos jours, on peut diviser aux États-Unis le corps électoral en trois catégories : au sommet, les gens absorbés par leurs affaires qui votent rarement et