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constitution des États-Unis est un fait incompréhensible. Il y a parmi nous des gens qui ne peuvent contempler l’Angleterre ou l’Union américaine, ni étudier leur constitution sans en prédire la chute comme pour se venger de leur surprise et de leur impuissance à en comprendre le mécanisme. Et pourtant aucun des auteurs de la constitution de 1787 n’a caché son secret ; tous l’ont proclamé à l’envi ; à leurs yeux, l’antagonisme du pouvoir exécutif et de la législature est inévitable, si un troisième pouvoir tirant sa source de l’un et de l’autre, mais supérieur à tous deux en durée, ne vient juger leurs lois et leurs actes, servir d’arbitre à leurs luttes et de protecteur vis-à-vis des citoyens. Que le président ou les fonctionnaires menacent la liberté et se livrent à des actes arbitraires, le pouvoir judiciaire se dresse aussitôt et met obstacle aux empiètemens de l’exécutif. Que la législature, entraînée par le mandat des électeurs, croie représenter à elle seule la souveraineté populaire et qu’elle vote des lois contraires à la constitution, le pouvoir judiciaire écoute les doléances des citoyens et paralyse la loi illégalement votée. En reprenant l’histoire des États-Unis, on retrouverait aisément le souvenir de conflits apaisés, d’entreprises déjouées, d’usurpations confondues par la fermeté d’un pouvoir placé assez haut pour être revêtu de tout le prestige de la loi.

Si ce pouvoir n’existe pas, écoutez les docteurs de la théorie constitutionnelle indiscutée au-delà de l’Atlantique, ils vous diront d’une commune voix qu’une république sera condamnée à être éternellement ballottée entre le césarisme et la démagogie, que tantôt un maître, tantôt une assemblée omnipotente, gouverneront le pays, que, sans un contrôle supérieur, l’équilibre est rompu, et que, faute de savoir le maintenir s’il existe, ou le créer s’il fait défaut, une république ne connaîtra jamais les bienfaits d’un gouvernement modéré. Ce qui perd les pouvoirs délégués par le peuple, c’est qu’ils se croient tout permis. Il leur faut un contrepoids, un guide, un contrôle. Seul, le pouvoir judiciaire est capable de le donner. A quelles conditions peut être créée, dans le mécanisme gouvernemental, cette pièce maîtresse sans laquelle une démocratie privée de frein se précipite vers la satisfaction de toutes ses passions ? C’est la question la plus grave qui s’impose de notre temps aux méditations de ceux qui sont résolus à demeurer fidèles à la liberté.

Dans nos chartes successives, tout a été fait pour annuler l’un des pouvoirs. La constitution de 1791 a étouffé la monarchie et fait naître la puissance sans limites de la convention ; la constitution de l’an VIII a réduit à l’inaction les assemblées au profit du pouvoir exécutif. Les chartes constitutionnelles ont formé un dualisme qui,