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bien que tenté sous sa forme la plus sage, a pourtant abouti à deux conflits mortels. La constitution de 1848 a poussé le dualisme à ses limites extrêmes en mettant une assemblée unique et omnipotente en face d’un président élu par le peuple. 1852 a revu la constitution de l’an VIII, la législature muette et le pouvoir exécutif sans frein. Nous faisons une nouvelle expérience dans laquelle le pouvoir exécutif, absorbé par une des branches de la législature, n’est qu’un instrument. La volonté du peuple souverainement exprimée dans les élections de députés et de sénateurs est toute-puissante. — C’est la condition du régime représentatif, nous dit-on. Voyez la constitution anglaise ; ignorez-vous que le parlement exerce une autorité sans limites et que la chambre des communes est l’expression directe de la volonté populaire ? — Sans doute ; mais en Angleterre il y a deux obstacles qui se dressent devant les électeurs : la couronne et la chambre des lords sous sa double forme politique et judiciaire[1]. Cherchez tous les peuples réglés par une constitution libre et vous n’en trouverez pas un seul où l’électeur puisse en nommant ses mandataires disposer directement des lois et de la constitution nationale. En Suisse, le conseil des états et la révision soumise au peuple servent de frein à la chambre basse. Aux États-Unis, le pouvoir judiciaire crée un obstacle. Dans notre pays, aucune barrière n’a été dressée pour arrêter ou retarder la volonté de l’électeur. Nous avons emprunté à nos chartes et aux gouvernemens anglo-saxons tout ce qui facilitait la toute-puissance des législatures sans conserver, ni créer une seule des forces qui pouvaient empêcher l’avènement du despotisme des assemblées.

Si nous possédions, ainsi qu’en Amérique, une constitution contenant une série de principes définis, servant de fondement à nos institutions et soumettant à leurs règles les citoyens c emmêles corps politiques, la réforme à accomplir serait simple et s’imposerait d’elle-même. Malheureusement nous n’avons jusqu’ici, en fait de lois constitutionnelles, que des lois d’organisation et de procédure. Nous nous bornons donc à une hypothèse : une cour suprême serait

  1. Le pouvoir judiciaire de la chambre des lords appartenant en droit à tous les pairs et, exercé en fait par les law-lords, c’est-à-dire par les anciens chanceliers, a fait recaler à certains jours les passions déchaînées de l’Angleterre. Il y a peu d’époques où les ardeurs se soient montrées plus vives qu’en 1844, alors que l’Irlande se soulevait a la voix d’O’Connell, que le ministère, en lutte contre lui, avait pris le parti de le faire arrêter et qu’un jury venait de. le condamner. Cabinet, parlement, opinion publique, tous étaient unanimes contre l’agitateur de l’Irlande. La chambre des lords fut saisie. Un soir, au milieu de l’assemblée frémissante, les law-lords opinèrent ; par trois voix contre deux, la procédure leur semblait illégale. D’autres pairs s’apprêtaient à voter. La majorité contre O’Connell n’était pas douteuse. Un des ministres fit observer que les précédons s’y opposaient. Nul ne protesta, et le soir le premier ministre expédiait l’ordre d’élargir O’Connell. Mémorable exemple de respect du droit qui est fait pour apprendre à quel prix un peuple est capable de demeurer libre !