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de départ de nouveaux travaux ; car, à partir de ce moment, ils seraient appelés à siéger aux audiences du tribunal.

Ce choix de quelques magistrats d’élite par la cour, qui récompenserait de la sorte le mérite modeste des juges de paix, serait plus favorable à l’administration de la justice que la fusion en une grande compagnie judiciaire de tous les juges de paix d’un canton[1], élevés tout d’un coup au rang de juges au tribunal, sans distinction de la valeur de chacun. Dans l’état de notre magistrature cantonale, on a vu pour quelles raisons nous nous refusions à demander dès à présent une inamovibilité qui serait prématurée. Agir autrement serait accorder à plusieurs une faveur imméritée et surexciter des ambitions sans profit pour la justice.

On a proposé de leur donner des assesseurs. L’institution serait utile, si elle était limitée. Il serait périlleux de placer à côté du juge de paix des jurés permanens. Inutiles si leur rôle était effacé, ils deviendraient dangereux s’ils opprimaient le juge. Quelle pourrait être leur action dans les questions de droit, dans les comptes, dans les débats variés que l’esprit d’un seul magistrat démêle, en faisant à l’audience une sorte d’instruction rapide qu’entraverait la présence de plusieurs juges ? Tout au contraire leur action serait féconde, quand un usage local est invoqué devant le juge de paix. Le magistrat est souvent fort embarrassé. S’il n’appartient pas à la contrée, s’il n’en connaît pas les coutumes rurales, et qu’une question, de métayage, de culture, ou de bornage soit soulevée par une des parties qui fait appel aux usages du canton, le juge de paix sent le désir d’interroger les anciens du pays pour vérifier la pratique locale. Il n’est pas un magistrat rural qui n’ait plus d’une fois dans sa carrière judiciaire éprouvé ce besoin. Pourquoi en une catégorie spéciale d’affaires qui comportent des solutions diverses suivant l’usage des lieux, deux ou quatre notables ne seraient-ils pas adjoints au juge ? On aurait soin de prendre les anciens de la commune. Le tribunal chargé de dresser la liste ne pourrait désigner pour remplir ces fonctions que des citoyens âgés de plus de quarante ans : les anciens maires et adjoints seraient inscrits de droit. Ainsi, dans chaque canton, il y aurait un certain nombre d’hommes associés à l’œuvre de la justice. Le fonctionnement de la loi de 1871 sur le jury des loyers a donné aux juges de paix de Paris une grande autorité. L’irritation était des plus vives, beaucoup de locataires se refusaient au paiement, des propriétaires déniaient toute transaction. Le juge de paix, appuyé sur les jurés, a accommodé plusieurs

  1. Discours de M. le procureur-général Dauphin, prononcé le 3 novembre 1880 à la rentrée de la cour d’appel de Paris.