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milliers de procès, et ceux-ci ont donné au magistrat une autorité que sans eux il n’eût point possédée. Les jurés ont emporté une opinion plus haute de la justice : en la voyant à l’œuvre, ils ont compris les sentimens qui l’inspiraient. Sous une double forme, il y a eu profit pour la société, qui voyait du même coup la paix rétablie et le respect accru.

A l’aide de ces réformes, la situation du juge de paix serait déjà profondément modifiée. L’élévation de son traitement achèverait de lui donner une autorité qui lui fait trop souvent défaut. Le minimum de 1, 800 francs, c’est-à-dire un peu moins de 5 francs par jour, est dérisoire et ne peut être conservé. Pour quelques-uns, nous le savons, c’est la misère. Si l’on veut recruter la magistrature cantonale parmi des hommes capables, il faut offrir aux candidats un traitement qui leur permette de vivre et donner au juge les moyens de se faire respecter. Le minimum devrait être porté à 3,000 francs. La nécessité de payer convenablement les juges pour assurer leur indépendance est tellement impérieuse que nous ne craignons pas d’accroître sensiblement le budget de la justice. Pour réaliser des économies, on propose l’union de deux cantons : ce système troublera les coutumes sans profit sérieux. C’est d’ailleurs une réforme toute locale qui ne peut dépendre de la statistique et qui doit être subordonnée à l’avis des compagnies judiciaires.

« Mais, nous dit-on, le juge de paix est inoccupé, et la réforme nécessaire est l’élévation de sa compétence. » Si le législateur accordait aux juges de paix ce funeste présent, ils seraient perdus. Lorsque leur capacité se sera élevée, il pourra être question détendre leurs attributions. Jusque-là, il n’en faut pas parler. La confiance publique doit précéder l’extension des compétences. Lorsque les incapables auront été exclus, lorsque la sécurité sera rentrée dans le cœur des juges, qu’ils auront perdu ce sentimens d’instabilité qui les paralyse, on pourra songer à leur remettre de nouveaux pouvoirs.

On a raison de parler des juges de paix italiens qui, sous le nom de préteurs, exercent au premier degré une juridiction considérable ; on peut citer l’exemple des juges de paix français en Algérie, dont la compétence étendue rend les plus grands services. En Italie comme dans nos possessions d’Afrique, ces magistrats inférieurs sont recrutés parmi les jeunes gens les plus capables. En donnant pour juges au peuple les hommes les plus distingués, on lui apprend à honorer la justice.

Toutes les réformes que nous venons d’indiquer seraient impuissantes si elles n’avaient pas pour résultat de mettre le juge de paix à l’abri des préoccupations politiques. C’est là l’écueil sur lequel est venue se briser son influence. Lorsque, pendant près de vingt