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n’aurait en aucun cas voix délibérative. S’il était charge de certaines enquêtes sommaires, de rapports sur pièces ou de comptes, il ne pourrait agir que sous la responsabilité d’un juge titulaire, dont il serait en quelque sorte l’auxiliaire. Dans les travaux du parquet, il pourrait, sur la délégation du procureur de la république, montrer plus d’initiative, soit qu’il fût envoyé à l’audience pour tenir le siège d’un substitut, soit que, dans les missions diverses du parquet, il remplaçât l’un des membres du ministère public. Les auditeurs ne jouiraient pas du privilège de l’inamovibilité, mais ils ne pourraient être déplacés que de l’avis du tribunal. Ils recevraient une indemnité égale au quart du traitement du juge. Les années qui s’écouleraient de la sorte seraient bien employées. Elles permettraient aux stagiaires d’amasser quelque expérience, aux chefs et aux anciens du tribunal de voir s’ils ont les qualités natives qui font le magistrat. De plein droit, le terme expiré, ils quitteraient le tribunal, reprenant leur robe d’avocat et rentrant au barreau, non sans avoir acquis quelque profit et avec l’espérance d’une présentation par le procureur-général pour un poste de substitut ou par un tribunal pour un siège de juge.

Avec cet ensemble de garanties, les procureurs-généraux et les tribunaux auraient sans cesse devant eux un nombre suffisant de jeunes gens d’une capacité reconnue, dont ils suivraient les travaux, dont ils connaîtraient la valeur et dont ils verraient peu à peu se former les mœurs et l’esprit judiciaire ; la tradition se trouverait représentée par ces jeunes gens dans le sein d’une compagnie qui les aurait en quelque sorte adoptés. Sans aucun des inconvéniens des anciens auditeurs, sans le péril d’une inamovibilité prématurément accordée, on verrait renaître tous les avantages de ces recrues ardentes au travail, apportant un sang nouveau et rajeunissant de leur énergie les magistrats dont l’âge ralentit quelquefois l’activité, bien avant d’affaiblir l’intelligence.

Appuyée sur le concours et sur l’auditorat, la magistrature retrouverait ses forces. « Nous vivons à une époque, — disait en 1876, avec une profonde perspicacité, le garde des sceaux qui a institué le concours sans avoir eu le temps de le compléter par l’auditorat, — nous vivons à une époque où toutes les fonctions publiques qui ne sont pas données à l’élection doivent se défendre par le mérite de ceux qui les occupent. Nous n’échapperons à l’application des théories fausses qui se sont fait jour dans ces derniers temps relativement à l’élection des magistrats qu’à la condition de ne laisser entrer dans la magistrature que des jeunes gens capables, instruits, ayant déjà fait leurs preuves et conquis l’estime de ceux qui ont assisté à leurs débuts[1]. »

  1. Circulaire de M. le garde des sceaux Dufaure, 4 juin 1876.