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absolument contraires ? Si l’une frappait d’opposition les votes en faveur de M. Tilden, l’autre ne manquerait pas de contester la validité de tous les suffrages accordés à M. Hayes : les élections seraient ainsi annulées en fait, et la confédération se trouverait sans président et sans gouvernement. Cette perspective était loin de déplaire à tout le monde : les républicains intransigeans soutenaient que, dans ce cas, le général Grant conserverait le pouvoir jusqu’à ce qu’il fût procédé à une nouvelle élection, et en s’attachant rigoureusement à la lettre de la constitution, on aurait pu prétendre que cette élection ne pouvait valablement avoir lieu avant l’automne de 1880. Il faut reconnaître, à l’honneur du général Grant, qu’il repoussa de toutes ses forces une combinaison qui l’aurait laissé en possession du pouvoir. Nul n’appuya plus énergiquement les appels à la conciliation qui se faisaient entendre de toutes parts.

Un compromis fut donc proposé qui consistait à remettre à une commission arbitrale l’examen et la décision de toutes les questions litigieuses. Cette commission, qui serait investie des mêmes pouvoirs que le congrès, devait se composer de cinq sénateurs, de cinq représentans et de cinq des juges de la cour suprême. Cette intervention du pouvoir judiciaire n’avait rien que de conforme aux idées et à la pratique des Américains, la cour suprême étant l’interprète légal de la constitution et exerçant un véritable droit d’annulation sur les lois particulières des états et même sur les lois votées par le congrès, lorsqu’elle les juge contraires au pacte fédéral. Si le commerce et l’industrie, si tous les intérêts alarmés par la perspective d’une nouvelle guerre civile étaient unanimes à souhaiter qu’une transaction mît un terme à l’agitation fiévreuse à laquelle le pays était en proie, les hommes qui font une profession de la politique et qui en vivent n’écoutaient que l’esprit de parti et refusaient de désarmer. Le compromis rencontra donc une opposition ardente au sein du sénat, où les républicains avaient la majorité. MM. Blaine et Hamlin, du Maine ; les deux Cameron, de la Pensylvanie, et M. Sherman, de l’Ohio, se signalèrent par leur acharnement ; mais M. Conkling, de New-York, confident habituel du général Grant, et M. Frelinghuysen, du New-Jersey, qui devait à son titre d’ancien vice-président des États-Unis une grande autorité morale, rallièrent au compromis un certain nombre de voix républicaines et réussirent à le faire voter. L’opposition fut beaucoup moins vive à la chambre ; toutefois signalons qu’au nombre de ceux qui combattirent le compromis avec le plus de vivacité se trouva M. Garfield, de l’Ohio, celui-là même qui vient d’être élu président. Dès que la loi eut été votée, elle fut transmise au président, qui s’empressa de la sanctionner et de la faire promulguer.

Un seul des sénateurs du parti démocratique, M. Eaton, avait