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« Vous voyez quelles ovations me fait ce peuple. Eh bien ! dans quinze jours peut-être, il me jettera des pierres. » Ce ne fut pas quinze jours, à la vérité, mais quinze mois, ou peu s’en faut, qui amenèrent ce changement. En plusieurs endroits, il trouva la plèbe ameutée par ces rumeurs stupides qui (nous en avons tous fait, il y a quelques années, l’expérience), obtiennent créance dans les momens de trouble chez cette nation qui se vante d’être la plus intelligente de la terre. « Il emporte, criait-on sur son passage, la fortune du peuple. » À Arcis-sur-Aube, il se vit retenu par la municipalité, et pour obtenir son élargissement, il dut s’adresser à l’assemblée nationale. À la réclamation de son père Mme de Staël joignait la lettre suivante, qu’elle adressait au baron de Jessé, alors président de l’assemblée[1] :


11 septembre 1790.

Je vous demande en grâce, monsieur, de vouloir bien faire délibérer ce matin rassemblée sur l’arrestation de mon père. Il est nécessaire à sa santé de ne point éprouver des retards. C’est la seule considération que je présente. C’est à vous que je m’adresse personnellement, monsieur. Votre réputation fait ma confiance. Je ne prononcerois pas le nom de mon père à celui, permettez que je le dise, qui ne seroit pas aussi digne de l’entendre. J’ai l’honneur d’être, monsieur, votre très humble et très obéissante servante.


Plus heureux que le duc de La Rochefoucauld, le fils de l’aimable duchesse d’Enville, qui dans des circonstances à peu près semblables fut sous les yeux de sa mère massacré à Gisors, M. Necker obtint son élargissement et, après une nouvelle alerte à Vesoul, il put reprendre à petites journées un voyage que l’état de santé de Mme Necker rendait singulièrement pénible. Enfin, dans les premiers jours d’octobre 1790, ils atteignirent Coppet, où Mme de Staël vint bientôt les retrouver et où nous ne tarderons pas à les aller rejoindre nous-mêmes pour leur dire adieu.

Othenin d’Haussonville.
  1. L’original de cette lettre se trouve aux Archives nationales. — On sait que l’assemblée nommait chaque mois un nouveau président.