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sans être des substances à la manière scolastique, n’ont pas cependant quelque réalité durable et se réduisent à de purs fantômes, le dévoûment d’un homme à un autre est le dévoûment d’une illusion à une illusion et est lui-même illusoire. M. de Hartmann ne se défend pas sur ce point ; le subtil métaphysicien de l’inconscient préfère prendre à son tour l’offensive : il soutient, contre M. Bahnsen, que l’individualité, l’indépendance, la liberté du moi, loin d’être nécessaires pour fonder une morale de désintéressement et de philanthropie, fonderaient au contraire l’égoïsme. « Si la philosophie de l’individualité était vraie au point de vue métaphysique, dit-il, il faudrait absolument admettre cette conséquence que l’égoïsme prudent peut seul être la morale vraie et pratique,.. car l’égoïsme est non-seulement une activité individuelle, mais même une activité individuelle se prenant pour fin elle-même et qui, par conséquent, présuppose un moi comme sujet et comme objet. » M. de Hartmann, dans cette réplique à ses adversaires, ne voit pas qu’il identifie à tort deux points de vue divers : de ce que, par hypothèse, j’existerais comme sujet réel, ayant une existence propre, il n’en résulterait pas que je fusse aussi pour moi le seul objet et le seul but possible; de ce que j’aurais une activité individuelle, il n’en résulterait pas que cette activité se prît nécessairement elle-même pour unique fin; en un mot, individualité n’est pas nécessairement égoïsme. M. de Hartmann revient sans s’en apercevoir au paralogisme de Max Stirner, qui dit qu’on ne peut pas plus sortir de son moi que de sa peau. Toujours est-il qu’en nous attribuant une valeur purement phénoménale et illusoire, comme le font Schopenhauer et M. de Hartmann, la doctrine moniste ne nous rendra pas plus capables d’aimer les autres et ne rendra pas les autres plus dignes d’être aimés de nous.


IV.

Nous venons de voir les vraies conséquences morales du « monisme, » premier fondement de la morale bouddhiste; il nous reste à examiner au point de vue moral le second fondement du système, qui est le « pessimisme. » Sans le pessimisme, nous dit M. de Hartmann, le principe de l’unité substantielle des êtres demeurerait dans l’abstrait et n’aurait pas de vertu pratique; ce qui nous excite à pratiquer la morale de l’unité universelle, c’est cette double persuasion sur laquelle le pessimisme repose : 1° tout effort