Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/130

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

illusion : égoïsme et altruisme sont donc au fond équivalens. En second lieu, le pessimisme, — au lieu d’être, comme il devrait, le sentiment généreux et vraiment moral du contraste qui existe entre l’idéal et la réalité, de l’infranchissable distance qui sépare ce que nous sommes de ce que nous voudrions être, ce qu’est le monde entier de ce que nous voudrions qu’il fût, — n’est plus qu’une lamentation sur l’insuffisance du plaisir, un calcul raffiné des joies et des souffrances dans le bilan de la vie, une sorte de casuistique du plaisir qui, en morale, aboutit logiquement au précepte antique : Mets à profit le plaisir du moment, seul bien réel au monde. En troisième lieu, le pessimisme excessif du début se change à la fin en un optimisme non moins excessif, qui nous attribue le pouvoir de mettre un terme à nos souffrances, à celles de l’univers, à celles de Dieu. L’homme est ainsi plus puissant que l’absolu même, puisqu’il peut racheter l’absolu et le tirer de son enfer. On comprend qu’un autre disciple de Schopenhauer, Bahnsen, ait été entraîné par la logique à un pessimisme encore plus radical. Admettre que la misère universelle peut prendre fin, que la volonté de vivre peut s’anéantir elle-même et rentrer un jour dans le nirvana, c’est nous laisser un dernier espoir. Pourquoi cet espoir, comme tous les autres, ne serait-il pas chimérique ? Si la volonté pouvait s’anéantir, il y a longtemps qu’elle l’aurait fait ; si elle ne l’a pas fait, c’est que sa délivrance est impossible. Sa loi est donc de subsister éternellement, d’être éternellement divisée contre elle-même, éternellement malheureuse. Ce monde est une tragédie sans fin, et le tragique est la loi même de l’existence. Mais ce caractère tragique qui fait le fond de la vie universelle consiste, selon Bahnsen, dans l’insuffisance de notre pouvoir pour réaliser notre devoir, et non pas seulement dans l’impuissance de la volonté à trouver le plaisir : s’il n’était rien de plus, il ne serait que la déception éternelle d’une volonté voluptueuse, sensuelle et basse ; il ne serait donc que « la caricature du tragique. » Bahnsen aurait pu ajouter que telle est la morale de Hartmann. Cette morale n’est qu’un épicurisme déçu par soi-même, conséquemment plus burlesque au fond que tragique.

Un mélange incohérent d’erreurs et de vérités, de faits scientifiques et de sophismes ontologiques, un amoncellement d’obscurités d’où sortent parfois des lueurs comme l’éclair du nuage, la déclamation jointe à l’algèbre, la superstition alliée à l’incrédulité, le somnambulisme, les tables tournantes, les esprits frappeurs, admis par Schopenhauer en même temps que la « liberté nouménale » et la prédestination ; la possession démoniaque étudiée par M. de Hartmann avec le même soin que les phénomènes réflexes ou les perceptions infiniment petites ; un abus des causes finales