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depuis un an, des munitions, des armes et de l’argent. Aigues-Mortes était occupée, le Comtat entrait dans la terreur sanglante qu’il eut à subir après les massacres d’Avignon; à Villeneuve-de-Berg dans l’Ardèche, les patriotes, un moment écrasés, reprenaient le dessus pillaient des maisons royalistes et donnaient autour d’eux l’exemple d’un retour offensif contre ceux qui croyaient les avoir vaincus. De toutes parts, sauf au camp de Jalès, où elle s’armait avec persévérance, la cause royale semblait perdue; elle ne pouvait plus compter que sur le zèle des habitans du Vivarais et sur l’énergie et l’habileté des princes. Tout était à reconstituer pour une action générale.


III.

C’est dans ces circonstances que le comte de Saillans arriva à Chambéry. Comme Coblentz, cette ville donnait asile à de nombreux émigrés. A leur tête, parmi les plus exaltés, se faisaient remarquer un des conjurés de Jalès, l’abbé de la Bastide de la Molette, ce chanoine d’Uzès décrété d’accusation et réfugié a Chambéry, où il faisait des enrôlemens; un autre personnage, célèbre en ce temps, M. de Bussy, qui travaillait à la même entreprise. Installé au Bourget à trois lieues de la ville, M. de Bussy avait même formé une légion qui parcourait les rues tous les jours, et faisait ses manœuvres sur les places publiques. Les hommes de cette légion exerçaient sur les Français qui traversaient la Savoie la plus rigoureuse surveillance, exigeaient que chacun arborât la cocarde blanche et se proclamât aristocrate ; ils couraient sus à ceux qui portaient la cocarde tricolore pour la leur arracher et la fouler aux pieds.

Là, se trouvaient encore quelques-uns des fugitifs de Mende, le chevalier de Borel et l’abbé de Siran, qui occupaient dans la société des émigrés une place prépondérante; puis les agens officiels des princes, MM. de Narbonne-Fritzlar et de Villefranche, qu’allait bientôt rejoindre le comte de Connway, commandant supérieur de l’armée du Midi.

Quoiqu’il affectât de traiter les émigrés avec une extrême sévérité et qu’il fût sérieusement préoccupé des périls que lui faisait courir l’hospitalité qu’il leur accordait, le gouvernement sarde tolérait cependant leur bruyante présence. Il répétait souvent qu’il allait les expulser; en fait, il ne les expulsait pas, se contentant d’exiger du plus grand nombre d’entre eux qu’ils se logeassent hors la ville, mais leur permettant à ce prix d’y venir tous les jours et d’y circuler librement. Ce fut seulement au mois de juillet que, la