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d’une polémique déjà ancienne : « Si le prince des ténèbres tenait assemblée de démons, pour éteindre les lumières de la bonne doctrine, il ne pourrait, en recueillant les avis, rien trouver de plus pernicieux que les inventions d’Aristote. »

« Quel interprète du maître ! » s’écriait, non sans apparence de raison, l’habile principal du collège rival de Boncours. Et Ramus, en alléguant que, dans son école, les livres d’Aristote étaient soigneusement expliqués par Omer Talon, qu’il nommait son frère, on se demandait si, par la figure nommée antiphrase, il ne cherchait pas à donner le change. Il importe d’entrer au détail des craintes, sincères ou non, inspirées par les méthodes de Ramus et par la place trop grande accordée dans son collège à la littérature.

« Quoi ! s’écriait Galland, pour enseigner la chirurgie, se contentera-t-on de faire lire aux élèves le passage de Virgile où le vieillard Hippias, conseillé par Vénus, guérit la blessure d’Enée ? » Et il citait le passage entier. « Remplacera-t-on les argumens tirés des Pandectes par les vers de l’Enéide sur les jugemens de Minos ? » Et il cite seize vers. « Trouvera-t-on une leçon de métallurgie dans la description des travaux de Vulcain fabriquant le bouclier d’Enée ? » Nouvelle occasion d’offrir à ses lecteurs neuf vers de Virgile.

Longtemps avant Ramus, on présentait, dans l’école, Homère et Virgile comme « maistres très parfaicts en la cognoissance de toutes choses, » mais l’habile directeur du collège de Presles, homme pratique et sensé, n’ignorait nullement que vouloir puiser la science à ces sources gracieuses, c’est la confondre avec son image qui s’y reflète quelquefois, et tenter, comme l’a dit Montaigne, de bâtir une muraille sans pierres. L’accusation n’était en réalité qu’un développement oratoire. Ramus, sensible lui-même au plaisir de citer de beaux vers, déclare, il est vrai, que sur la nature des vents, l’origine des nuages qui volent sur leurs ailes et les orages qu’ils engendrent, Homère et Virgile relèvent par leur beau langage des explications qu’on ne trouve pas ailleurs. Il est en cela fort excusable ; car si, sur ce sujet, l’œuvre du poète est sans valeur scientifique, la science alors était sans valeur aucune.

Sans faire effort pour retrouver sous la rhétorique des deux adversaires le détail des nouveautés attrayantes et hardies repoussées par l’Université, nous pouvons emprunter aux traités de dialectique de Ramus quelques exemples de sa méthode.

La dialectique, dans les écoles et dans les examens, était alors la science la plus haute et le couronnement des fortes études. Ramus avait pour ses subtilités un très grand respect, mais, pour être compris de tous, il écartait les abstractions et procédait exclusivement par des exemples. Cherchant dans Virgile des syllogismes, des enthymèmes et des sorites, il ressemblait à un professeur qui,