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ils se réfugièrent dans l’église, encore ouverte, avec l’espoir que les autorités locales viendraient les délivrer. Celles-ci ne purent ou ne voulurent pas intervenir. On obligea les deux infortunés à sortir du temple. On criait autour d’eux :

— Mort aux chouans ! mort aux aristocrates !

L’abbé de la Bastide de la Molette eut le pressentiment très net du sort qui l’attendait. Il se jeta à genoux, les mains levées au ciel, en récitant les prières des agonisans. Un violent coup de sabre Je renversa mourant sur le sol, où les bourreaux l’eurent bientôt achevé. Là, comme aux Vans, les soldats restèrent sans ordres et assistèrent les bras croisés à ces scènes de meurtre. Le chevalier d’Entremaux, qui se débattait avec désespoir, se tourna plusieurs fois vers eux :

— Je ne vous demande pas de me protéger, leur criait-il; je vous demande une épée, une épée pour me défendre contre ces scélérats.

Il finit par tomber percé de coups.

Déjà, depuis quatre jours, les prêtres arrêtés à Naves, au nombre de neuf et conduits aux Vans, comme nous l’avons raconté, avaient péri également victimes des fureurs populaires. C’étaient l’abbé Claude Bravard, sulpicien, directeur du séminaire Saint-Charles d’Avignon ; l’abbé Pierre Lejeune, sulpicien aussi, professeur dans le même établissement; l’abbé Henri Clemenceau, curé de la cathédrale de Nîmes; l’abbé Jean Bonijol, chanoine d’Uzès; l’abbé Jacques Montagnon, curé de Valabre ; l’abbé Faure-Michel, curé de Mons, l’abbé Laurent Drôme, vicaire de Saint-Victor-la-Cotte, l’abbé Victor Nadal, curé d’Arpaillargues, et enfin l’abbé Novi, vicaire à Aujac. Ce dernier avait à peine vingt-trois ans. Plusieurs de ces prêtres étaient restés étrangers à l’insurrection. Réfugiés dans le Vivarais, leur plus grand crime consistait dans le refus de prêter le serment constitutionnel. On les confondit tous dans les mêmes vengeances. Le 14 juillet, la populace envahit leur prison, les traîna au dehors et les mit en pièces avec une cruauté qui ne fut égalée que par la sérénité qu’ils opposèrent à la mort.

Touchées par la jeunesse de l’abbé Novi, quelques femmes essayèrent de le sauver en lui demandant le serment civique, en le lui faisant demander par son père.

— J’aime mieux mourir! répondit-il.

Et il périt comme les autres.

Une relation manuscrite que nous avons sous les yeux raconte que Boissy d’Anglas, alors procureur-général-syndic de l’Ardèche, qui se trouvait aux Vans ce jour-là, supplié d’arrêter ce carnage, se contenta de répondre :

— Le peuple est juste même dans ses vengeances.