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n’étaient d’ailleurs que des armes de traite, tels que les Anglais les vendent aux nègres de la côte d’Afrique, valant de 6 à 10 francs pièce et plus dangereux pour ceux qui s’en servent que pour l’ennemi. Les pauvres soldats n’avaient, en outre, ni une gamelle, ni un bidon, absolument rien pour faire cuire leurs alimens, ni tentes, ni effets d’habillement, ni approvisionnemens de guerre. Pas plus de médecin que de médicamens. Cette troupe, dont le colonel disait qu’on avait laissé les meilleurs soldats à Puebla, ce qui était regrettable, car Tlacotalpam ne pouvait manquer d’être attaqué, était, ainsi dénuée, le chef-d’œuvre administratif de l’incurie mexicaine. Celle du colonel Figuerero, qui avait suivi la colonne Testard, n’inspirait, à cause de son chef, aucune confiance. Cet officier supérieur devait se faire payer des hommes qui n’existaient pas ou n’existaient plus dans son corps. Il avait prétendu et écrit avoir deux cent cinquante hommes et n’en alignait que deux cent dix-neuf. Il alléguait en vain qu’ils étaient dans les hôpitaux, aux environs de Vera-Cruz, On avait le droit de ne pas le croire. On savait trop ce qui se passait d’ordinaire dans sa troupe lorsqu’elle était près d’Alvarado. On n’y voulait ni docteur, ni remèdes, quand les soldats étaient malades. On ne disait rien quand ils étaient morts et on continuait à toucher leur solde. C’était tout profit. Par économie, on ne nourrissait pas les soldats, et c’était le motif qui, un an auparavant, avait fait déserter la garnison d’Alvarado tout entière. Le commandant ne pouvait qu’informer le commandant supérieur de Vera-Cruz de la complète détresse de la troupe Camacho et le prier de s’adresser à qui de droit pour y porter remède.

On était à Tlacotalpam, mais la situation s’annonçait pour l’avenir telle qu’on l’avait prévue. Nous acquérions la certitude que le général Garcia s’était fait aimer en ce pays et qu’on l’y regrettait; cela rendait notre rôle d’autant plus difficile. Les habitans continuaient à s’isoler de nous. Le peu qui consentaient à causer avec nous disaient : « Vous nous avez abandonnés, il y a deux ans, en dépit de vos promesses, et livrés à la vengeance des libéraux. Malgré cela, la majorité serait encore avec vous, si elle croyait ne pas être encore abandonnée de nouveau; mais vous venez de traverser le pays sans occuper les points dont il faut être maître pour le dominer. Nous en concluons que vous ne voulez pas plus que précédemment y demeurer, et vous ne pouvez pas rester dans cette ville sans une grande force, Tlacotalpam étant vulnérable partout. C’est pourquoi nous nous tenons à l’écart en attendant que les événemens se dessinent. »

Il n’était que trop vrai que Tlacotalpam était presque sans défenses et les troupes mexicaines chargées de le garder parfaitement insuffisantes. Déjà la désertion se mettait parmi elles. Trois