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de la Tourmente à la Frontera n’avait plus d’autre but que de veiller sur la douane établie à bord du Conservador. Il est vrai qu’il s’agissait de la perception de quelques mille piastres qui, dans les circonstances actuelles, n’étaient pas à dédaigner. Mais, les routes de l’intérieur appartenant aux libéraux et la douane de Vera-Cruz étant de connivence presque ouverte avec Alvarado, par où se faisait la plus active contrebande, cette perception baissait sensiblement et allait se réduire à fort peu de chose.

La fin de notre occupation au Mexique semblait indiquée d’une façon si naturelle et si logique que ceux mêmes qui nous étaient restés fidèles jusque-là et qui se sentaient de la sympathie pour nous songeaient le plus naïvement du monde à nous abandonner. Les notables de Carmen venaient trouver le lieutenant de vaisseau Cahagne, du Brandon, et lui demandaient quelle attitude il prendrait vis-à-vis d’eux, dans le cas où ils feraient pacifiquement leur adhésion au gouvernement républicain. Le capitaine leur répondit qu’il leur enverrait des coups de canon, parce qu’il ne pouvait leur permettre de changer leur forme actuelle de gouvernement. Les inquiétudes de Carmen se comprenaient. Sa garnison de soixante-dix hommes n’était pas sûre, et, de plus, le chef dissident Prieto, dont la troupe avait été renforcée par les déserteurs de Jonuta, paraissait avoir repris son ancien projet de l’envahissement du département de Campêche par Palizada et Sabanqui. Le Tabasco allait ainsi exécuter contre le Yucatan le projet d’invasion que le Yucatan avait formé contre lui. Carmen craignait, avec quelque raison, que les Tabasqueños, dès qu’ils seraient maîtres de toutes les rivières, ne forçassent le commerce entier à passer par chez eux, n’étant pas assez mal avisés pour laisser le bois descendre à la lagune et y payer les droits. Alors cette pauvre île de Carmen, déjà grevée de droits d’importation exorbitans, eût perdu l’exportation de ses bois, sa dernière branche de commerce. La première à se prononcer pour l’empire, elle ne voulait pas être la dernière à se prononcer pour la république, et il y avait presque injustice à ne pas la laisser faire. La seule considération était que le Yucatan se fût prononcé aussitôt après elle, et il y avait intérêt à retarder ce moment. Le Brandon était donc encore utile à Carmen pour la maintenir dans la soumission.

Le sentiment du terme prochain de notre domination, corroboré par la nouvelle officielle de notre évacuation dans un espace de temps déterminé, était si répandu que, partout où nous n’étions plus, les choses reprenaient, en dehors de nous, leur cours ordinaire. A Tampico, déjà le commerce trouvait d’immédiates compensations à notre départ. A Tuspan, les libéraux, s’occupant d’élections, portaient