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mais étrangement lourds, il ne serait que juste aujourd’hui de consacrer une partie des plus-values à des dégrèvemens, — et avec l’autre partie on pourrait suffire à des travaux, à des entreprises d’utilité publique. On marcherait ainsi lentement, mais sûrement. Est-ce là ce qu’on fait? Il n’en est malheureusement rien. Que signifient et les dégrèvemens et les plus-values et l’équilibre lorsqu’à côté du budget ordinaire on place un budget extraordinaire qui souvent sert de déversoir à des dépenses courantes, et, lorsqu’on couvre le tout, ou l’on supplée à tout avec l’emprunt périodiquement ouvert? Tout devient plus ou moins mirage et fiction. On compromet la réalité pour des apparences, et l’on s’expose à épuiser d’avance sans nécessité les ressources et le crédit dont la France pourrait avoir besoin. Que la république ait sa politique, nous le voulons bien; elle est certainement intéressée elle-même à y mettre plus de mesure et de prévoyance, à garder ses réserves de crédit, — en un mot à savoir user du succès en cela comme en tout.

On ne peut pas dire qu’en ce temps-ci il y ait beaucoup de nations ou de gouvernemens pour qui la vie soit toujours facile, et que les plus puissans, les plus favorisés de la fortune échappent eux-mêmes aux ennuis, aux mécomptes, aux contradictions irritantes. Le chancelier d’Allemagne, pour sa part, depuis qu’il a repris un rôle actif, semble être perpétuellement en guerre contre quelqu’un et défier les résistances, les hostilités dont il se sent ou dont il se croit menacé. Pour un jour, il est vrai, il y a eu trêve dans la politique à Berlin, à l’occasion du mariage du jeune prince Guillaume, fils du prince impérial, petit-fils du premier empereur d’Allemagne et de la reine Victoria d’Angleterre avec une princesse de Sleswig-Holstein-Augustenbourg. Malheureusement les mariages princiers ne durent qu’un jour; ils ne changent pas les situations et le lendemain comme la veille M. de Bismarck est resté dans cette attitude guerrière, impérieuse, provocante qu’il a prise un peu avec tout le monde, au risque d’ajouter aux difficultés réelles de sa position les difficultés qu’il se crée par son humeur. C’est en vérité un curieux phénomène que ce chancelier omnipotent, humoristique et hautain, qui a sans doute son but, et le répète assez souvent, qui vise avant tout à la consolidation de son œuvre, de l’empire d’Allemagne, mais qui trouve le moyen, chemin faisant, de batailler avec tout le monde, qui finit par s’isoler dans sa puissance.

D’un côté, M. de Bismarck s’est fait une assez mauvaise affaire avec cette querelle qui a définitivement déterminé la retraite du comte Eulenbourg, jusqu’ici ministre de l’intérieur. Le comte Eulenbourg n’était pas seulement un personnage bien vu à la cour, cher à l’empereur lui-même, il était en alliance avec tous les conservateurs prussiens, et sa démission a été visiblement un embarras. Il sera provisoirement remplacé au ministère de l’intérieur, dit-on, par le ministre