Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/559

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jacobins de Paris, qui sommes le monarque légitime, le pontife infaillible, et malheur aux récalcitrans et aux tièdes, gouvernement, particuliers, clergé, noblesse, riches, négocians, indifférens, qui, par la persistance de leur opposition ou par l’incertitude de leur obéissance, oseront révoquer en doute notre indubitable droit !

Une à une, ces conséquences vont se produire à la lumière, et visiblement, quel que soit l’appareil logique qui les déroule, jamais, à moins d’un orgueil démesuré, un particulier ordinaire ne peut les adopter jusqu’au bout. Il lui faut une bien haute opinion de soi pour se croire souverain autrement que par son vote, pour manier les affaires publiques sans plus de scrupule que ses affaires privées, pour y intervenir directement et de force, pour s’ériger, lui et sa coterie, en guide, en censeur, en gouverneur de son gouvernement, pour se persuader qu’avec la médiocrité de son éducation et de son esprit, avec ses quatre bribes de latin et ses lectures de cabinet littéraire, avec ses informations de café et de gazette, avec son expérience de conseil municipal et de club, il est capable de trancher net des questions immenses et compliquées que les hommes supérieurs et spéciaux abordent en hésitant. Au commencement, cette outrecuidance n’était en lui qu’un germe, et, en temps ordinaire, faute de nourriture, elle serait restée à l’état de moisissure rampante ou d’avorton desséché. Mais le cœur ne sait pas les étranges semences qu’il porte en lui-même : telle de ces graines, faible et inoffensive d’aspect, n’a qu’à rencontrer l’air et l’aliment pour devenir une excroissance vénéneuse et une végétation colossale. — Avocat, procureur, chirurgien, journaliste, curé, artiste ou lettré de troisième et quatrième ordre, le jacobin ressemblera un pâtre qui, tout d’un coup, dans un recoin de sa chaumière, découvrirait des parchemins qui l’appellent à la couronne. Quel contraste entre la mesquinerie de son état et l’importance dont l’investit la théorie ! Comme il embrasse avec amour un dogme qui le relève si haut à ses propres yeux ! Il lit et relit assidûment la déclaration des droits, la constitution, tous les papiers officiels qui lui confèrent ses glorieuses prérogatives; il s’en remplit l’imagination[1], et tout de suite il prend le ton qui convient à sa nouvelle dignité. — Rien de plus hautain, de plus arrogant que ce ton. Dès l’origine, il éclate dans les harangues des clubs et dans les pétitions à l’assemblée

  1. Moniteur, XI, 46 (séance du 5 janvier 1792. Discours d’Isnard. « Le peuple connaît aujourd’hui sa dignité. Il sait que, d’après la constitution, la devise de tout Français doit être celle-ci : Vivre libre, l’égal de tous, et membre du souverain. » — Guillon de Montléon, I, 455. Discours de Chalier au club central de Lyon, 21 mars 1793. « Sachez que vous êtes rois et plus que rois. Ne sentez-vous pas la souveraineté qui circule dans vos veines? »