Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/570

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et d’Andromaque et les ruines de l’époque romaine. Pergame cependant, avant de devenir le chef-lieu de la province romaine d’Asie, avait été la capitale d’un état qui ne fut pas sans gloire et dont le rôle a même été, à certains égards, important dans l’histoire de la civilisation. Lors du partage de l’empire d’Alexandre, elle tomba dans le lot de Lysimaque, roi de la Thrace, qui amoncela dans la citadelle un trésor considérable s’élevant à 45 millions. Il en confia la garde à un eunuque rusé, appelé Philetère. Celui-ci s’empressa de le trahir avec la connivence de Séleucus, qu’il trahit ensuite à son tour, jusqu’à ce qu’il se trouva seul maître du pays et de l’argent. En mourant, il laissa le pouvoir à son neveu Eumène. Ce dernier, bien qu’il ne portât pas le titre de roi, fut, à vrai dire, le premier des dynastes de Pergame. Cependant, si Eumène avait pu secouer la domination des généraux d’Alexandre, il était obligé de compter avec un peuple qui, pendant la première partie du IIIe siècle avant notre ère, était tout-puissant en Asie-Mineure : c’étaient les Gaulois, qui régnaient en maîtres depuis le Bosphore jusqu’à la Syrie et qui avaient imposé de lourds tributs aux rois et aux républiques. N’est-ce pas un étrange spectacle que celui des migrations de cette race gauloise, qui eut pendant de longs siècles une si merveilleuse force d’expansion? Plus étonnante encore que la conquête de Rome est celle de l’Asie-Mineure. Les historiens de l’antiquité nous ont gardé le souvenir de l’épouvante qui régna dans tout l’Orient à l’approche des hordes celtiques. Celles-ci trouvèrent peu de résistance et s’installèrent où bon leur sembla : les chariots venus de Toulouse, dit le poète Callimaque, stationnèrent dans les plaines de Gaystre; une tribu gauloise s’établit sur l’emplacement même de Troie. Le premier qui mit un terme à la toute-puissance des Gaulois en Asie-Mineure fut Attale Ier, successeur d’Eumène. Il les défit dans une grande bataille, et cette victoire sur un peuple réputé invincible lui valut une popularité sans pareille. Roi d’un petit état, il devint l’arbitre de l’Orient. Quant aux Gaulois, chassés des rives de l’archipel, ils se réfugièrent dans l’intérieur des terres : il en fut d’eux à peu près comme des Français dans l’Amérique du Nord, qui, maîtres un moment d’immenses régions, durent se concentrer dans les froides plaines du Canada, où ils conservent pieusement les mœurs et le langage de la mère patrie. Ainsi les Gaulois, cantonnés dans la partie de l’Asie qui prit leur nom, dans la Galatie, gardèrent pendant de longs siècles, malgré l’occupation romaine, l’empreinte de leur nationalité. Saint Jérôme raconte que, de son temps, c’est-à-dire au IVe siècle de l’ère chrétienne, on parlait la même langue à Ancyre et à Trêves !

Le vainqueur des Gaulois se montra digne du grand succès qu’il