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pleins d’une sage méfiance, mais surtout gardez-vous d’en rien laisser paraître. Si quelqu’un de ces amis douteux, pensant à bon droit qu’il vous est suspect, tente de se justifier, affirmez que vous n’avez jamais eu, que vous n’aurez jamais de doute sur son affection, car celui qui se croit soupçonné n’a plus de scrupule à vous trahir. Cependant ayez l’œil sur lui, et que votre confiance soit proportionnée aux garanties qu’il vous donne. Sachez aussi reconnaître à quoi chacun d’eux est propre. Tel nuira dans le poste qu’on lui confie qui, employé d’une autre manière, aurait pu rendre service. Cherchez surtout à vous faire des amis dans tous les rangs : un homme adroit trouve moyen de tirer parti de tout le monde. Les grands, les riches, les personnages connus vous seront fort utiles : ils donnent bonne apparence à une candidature. On est heureux aussi d’avoir pour soi quelques-uns de ces élégans du grand monde qui font partie des centuries de chevaliers ; ces jeunes gens, quand ils vous aident, le font avec toute l’ardeur de leur âge et tout l’éclat de leur situation ; ils sont toujours en mouvement, ils vont et viennent de tout côté pour porter les ordres et annoncer les nouvelles, comme de brillans officiers d’ordonnance ; ce sont des auxiliaires précieux. Mais il ne faut pas négliger non plus les petits, les humbles. Il s’en trouve, parmi ces gens obscurs, qui ont su acquérir une grande influence sur leurs voisins. Ils vous apporteront les suffrages de toute une rue, de tout un quartier ; ils sont les maîtres dans les associations dont ils font partie, et tous leurs confrères votent comme eux. « Songez-y bien, dit Quintus, il ne faut laisser aucun coin de Rome où vous n’ayez quelque appui. » Les esclaves eux-mêmes doivent être fort ménagés. Ils sont très bavards de leur nature, et c’est par eux que se répandent au dehors les bruits de la vie privée. Si les vôtres vous aiment, on saura par eux que vous êtes bon, compatissant, affable, ce qui touche beaucoup le cœur des pauvres gens. Enfin on ne doit pas se contenter des amis qu’on peut avoir à Rome et dans les environs ; il faut s’en faire dans toute l’Italie. Les gens des municipes italiens ont le droit de suffrage. À la vérité, ils se dérangent rarement pour aller voter, mais il est possible qu’ils s’y décident au dernier moment, et dans tous les cas il est bon de les avoir pour soi. De là cette recommandation vraiment effrayante de Quintus : « Songez à tous les hameaux, à tous les bourgs, au moindre village. Ayez dans votre esprit et dans votre mémoire l’Italie tout entière avec toutes ses parties et ses divisions. » Peut-être obtiendrez -vous que les Italiens viennent voter, malgré les distances, si vous avez su leur inspirer un grand intérêt pour vous. On fut fort étonné, à l’élection de Cicéron, de voir arriver au champ de Mars beaucoup de gens d’Arpinum qu’on