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grand-prêtre, qui était sadducéen (XXIII, 6)[1]. Il est difficile de concilier de tels rapports entre les pharisiens et les chrétiens avec ceux que les évangiles supposent entre les pharisiens et Jésus.

Le témoignage de Josèphe vient d’ailleurs confirmer celui des Actes. Quand le grand-prêtre Hanan fait condamner et lapider, comme transgresseurs de la loi, quelques représentans de l’église nouvelle, Josèphe nous dit que « les plus honnêtes gens de la ville et les plus exacts dans l’observation de la loi « blâmèrent cette exécution. » On voit aisément que ce sont les pharisiens dont il parle qui font opposition à un grand-prêtre sadducéen[2]. Il est difficile de croire que trente ans environ après la mort de Jésus, les pharisiens se soient montrés si indulgens pour ses disciples, si Jésus avait fait aux pharisiens de son temps la guerre acharnée qui enflamme l’évangile de Matthieu. Il est plus probable que Matthieu et même Marc expriment un tout autre état des esprits dans un temps tout autre, celui où le judaïsme agonisant et exaspéré par l’agonie rendait insupportables aux Juifs zélés, parmi lesquels les pharisiens étaient les plus chauds, ces chrétiens qui n’étaient plus même des Juifs, et où chrétiens et pharisiens se mirent à se détester à l’envi les uns les autres.

VI.

Voilà donc, dans l’histoire de Jésus, trois points, tous trois considérables, au sujet desquels on reconnaît que la tradition des Évangiles doit être écartée, très probablement comme contraire à la vérité ou tout au moins comme très douteuse. Et ce ne sont pas les seuls. L’appel des douze, institués par Jésus pour annoncer sa parole comme ses envoyés[3] est vraisemblablement apocryphe, puisqu’on ne voit pas qu’une seule fois dans les Évangiles un seul des douze se détache de Jésus et s’en aille prêcher quelque part, mais qu’ils y sont constamment rassemblés autour de lui. Ce n’est qu’après sa mort que ses disciples ont porté çà et là en son nom « la bonne nouvelle. » C’est alors aussi sans doute qu’il se forme parmi ces missionnaires un collège des douze, représentant les douze tribus d’Israël.

L’histoire de la trahison de Judas est encore suspecte. On ne comprend pas, en effet, en lisant le récit des Évangiles, à quoi sert cette trahison. On ne voit pas que, pour découvrir Jésus, ni pour l’arrêter, la police juive eût besoin d’un traître. D’ailleurs

  1. Les sadducéens, ou disciples de Saddoc, étaient des politiques, qui dédaignaient et redoutaient tout à la fois l’exaltation religieuse des pharisiens.
  2. C’est Josèphe qui l’appelle ainsi. (Antiq., XX, IX, 1.)
  3. Marc, III, 14 et VI, 30. Le mot grec ἀπόστολος a donné le français apôtres.