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n’attendait guère. La gloire de leur illustre compatriote rejaillissait sur eux, ils en prenaient leur part, et ils mirent tant de passion à le faire réussir qu’il a pu dire « que les champs eux-mêmes et les montagnes de son pays ont travaillé à son succès : Nostris honoribus agri, prope dicam, ipsique montes faverunt. » Il sera donc utile au candidat de faire quelque tournées électorales dans les villes ou les villages bien disposés pour lui. Ces voyages du reste n’ont rien de pénible. Les paysans, selon Quintus, sont de bonnes gens, et il est aisé de les contenter. Pourvu qu’on ait l’air de les connaître et de savoir leur nom, ils vous sont entièrement dévoués.

A Rome, on est plus difficile, et le succès coûte plus cher. Nous venons de voir comment on s’y prenait pour préparer de loin une candidature : voici ce qu’il fallait faire quand le moment de la déclarer approchait. Pour que le peuple pût savoir quels étaient les candidats et choisir entre eux, on avait imaginé la cérémonie singulière de la prensatio. Nous touchons ici à l’un des points les plus curieux et les plus originaux des élections romaines. Ce peuple, il ne faut pas l’oublier, est le plus formaliste des peuples; il a créé une jurisprudence compliquée, toute hérissée de formules, et c’est la science qui convient le mieux à son génie. Il fait des lois pour tout, il met tout sous le joug de la règle, il asservit à la tyrannie de l’usage les sentimens même qui ne devraient être que l’élan spontané du cœur. La religion n’est pour lui qu’une série de pratiques minutieuses, où il est défendu de rien changer, où l’on prévoit, où l’on fixe d’avance non-seulement les paroles que doit prononcer celui qui prie, mais l’habit qu’il doit mettre, l’attitude qu’il lui faut prendre et jusqu’aux moindres gestes qu’il doit faire. Le même esprit se retrouve dans certaines obligations étranges imposées à ceux qui demandent les fonctions publiques. Là aussi, ce qui était d’abord l’expression d’un sentiment personnel, un simple mouvement du cœur, dont la liberté fait le prix, est devenu bientôt une habitude, puis une règle, un devoir impérieux auquel on ne peut plus se soustraire. Par exemple, il est naturel de serrer la main à une personne qu’on veut mettre dans ses intérêts; c’est un témoignage d’affection qu’on lui donne et qu’elle aime à recevoir. Cette action si simple, si ordinaire, est devenue à Rome une cérémonie officielle : on en a fait la prensatio. A certains jours, où le peuple est réuni sur le champ de Mars, les candidats circulent entre ces rangs pressés, prenant la main de tout le monde. La promenade est longue, monotone, pénible; mais le candidat doit conserver jusqu’à la fin sa bonne humeur. Si l’on saisit sur ses traits le moindre ennui, il est perdu. Ce n’est pas tout : lorsqu’il aborde quelqu’un, il est tenu de joindre à la poignée de mains d’usage