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et l’enthousiasme du peintre devant l’image qu’il a tracée, que le jugement de l’historien. En langage exact, les demi-dieux, les fils de Dieu, les colosses n’existent pas; il n’y a pas même de plus haut sommet de la grandeur humaine. Rien n’est plus divers, rien n’est plus mêlé que les supériorités des hommes qui tiennent une place dans l’histoire; il est très difficile de fixer les rangs, et cela est plus difficile pour Jésus que pour personne, parce qu’il n’y a personne qui nous soit moins bien connu.

Ce n’est pas évidemment dans l’ordre de la pensée que Jésus a pu être au-dessus des autres hommes. Jésus n’est pas un penseur; il n’a pas apporté la lumière dans les ténèbres, malgré les paroles du quatrième évangéliste, qui, lui, prenait sa lumière dans Platon. Il n’est ni un philosophe, ni un savant, ni un politique, ni un capitaine, ni un poète; il n’a pu rendre à l’humanité aucun des grands services que lui rendent ces diverses puissances de l’esprit. Il a d’ailleurs toutes les idées fausses qu’on avait autour de lui. Il attend la fin prochaine de ce qui existe et la restauration d’Israël et des douze tribus. Il croit aux démons; il s’imagine qu’ils sont dans le corps des malades et qu’il les en chasse. Si l’état d’esprit de l’écrivain qui nous a conté l’histoire des deux mille cochons (Marc, V, 2) représentait fidèlement celui de Jésus, il n’y aurait rien de plus misérablement grossier; on peut espérer qu’il n’est jamais descendu si bas.

Malgré ses libertés d’inspiré, sa foi est encore bien étroite. On l’a vu, le véritable Jésus appelle les gentils des chiens; il ne s’intéresse pas aux Samaritains ; il ne pense à sauver que « les brebis perdues de la maison d’Israël. » Il ne prévoyait en aucune manière la large prédication de Paul.

Mais dans les limites de ses idées et de ses croyances, Jésus a été puissant par le cœur, par la passion, par la bonté. Il a aimé son pays et sa religion au point de n’en pouvoir supporter l’humiliation et les misères, et c’est ce qui lui a fait croire, d’une loi si énergique et si contagieuse, à un lendemain réparateur ; c’est ce qui lui a fait prêcher la « bonne nouvelle » de la résurrection de son peuple. Il ouvrait aux siens le royaume de Dieu, abandonnant « ceux du dehors » (IV, 11) aux cachots ténébreux et au feu qui brûle toujours. Il résumait la loi tout entière en deux commandemens : aimer son Dieu et aimer ses frères. Et parmi eux, il aimait particulièrement ceux qui souffrent davantage, les petits, les pauvres ; il affirmait que dans le royaume de Dieu les derniers seront les premiers (X, 31), il n’y aura plus là de supérieurs (X, 43). Il glorifiait la veuve pauvre qui, en donnant ses deux petites pièces de cuivre, a donné plus que tous les autres (XII, 43). Il veut que les riches se dépouillent pour les pauvres de tout leur bien, et s’ils