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ce n’est peut-être pas tant que le mot lui-même alarme leur pudeur ou seulement offense la délicatesse de leurs oreilles; mais elles sentent que Molière est de ceux qui pourront bien les adorer : quant à les aimer et les traiter en égales, jamais. Au fond, de l’École des femmes aux Femmes savantes, la philosophie de Molière n’a pas varié sur ce point. Et dans ce que j’appellerai la profession de foi d’Arnolphe, comme dans la déclaration de principes du bonhomme Chrysale, j’estime qu’une fois ôtée l’exagération comique, il a mis beaucoup plus qu’on ne croit de sa propre pensée. Cela se sent. Molière est dur pour les femmes, non pas tant en ce qu’il les rudoie qu’en ce qu’il en parle de très haut et comme d’êtres inférieurs.

Leur esprit est méchant, et leur âme fragile,
Il n’est rien de plus faible et de plus imbécile,
Rien de plus infidèle, et malgré tout cela
Dans le monde on fait tout pour ces animaux-là.


Je ne sais s’il y a quelques femmes qui comprennent ce qu’il y a dans ces vers d’involontaire hommage à leur toute-puissance, mais le reste n’en sent que le mépris, et le reste a raison. A notre avis, c’est ici la grave lacune du génie de Molière, et quand je les compare, car ceux-ci peuvent être comparés, c’est par où Shakespeare certainement l’emporte.

Encore ici donc, c’est parmi les successeurs de Racine qu’il faut placer Marivaux. Les femmes sont plus nombreuses et presque aussi diverses dans le répertoire comique de Marivaux que dans le répertoire tragique de Racine. Elles y vivent d’une vie moins poétique, mais presque aussi réelle. Et si Marivaux, pour se conformer à l’usage de la scène, leur dit parfois des duretés, c’est avec prodigalité qu’il se rachète, en ornant ses grandes dames, ses bourgeoises et jusqu’à ses suivantes, de toutes les qualités tour à tour, ou de défauts plus charmans peut-être et qui leur vont mieux que leurs qualités. Il y a des soubrettes encore qui se promènent dans son répertoire, mais il n’y a plus d’ingénues, ni de coquettes, ni de duègnes, il y a des femmes. Qu’il ait eu maintenant besoin d’un style nouveau, plus pénétrant, en quelque sorte, que le style ordinaire de la comédie pour analyser toutes les finesses, démêler tous les sophismes, et surprendre et fixer sous nos yeux tous les subterfuges du cœur féminin, quoi de plus naturel? « On croit voir, disait lui-même, partout dans toutes mes comédies le même genre de style, parce que le dialogue y est partout l’expression simple des mouvemens du cœur. La vérité de cette expression