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Les Anglais considéraient les Boers comme leurs porcs truffiers ; mais quand on a dans ses veines du sang hollandais et huguenot, à la lenteur des pensées on joint l’amour de l’indépendance, la fierté de l’âme, la ténacité du vouloir, et on estime que, si l’homme peut se passer de truffes, le pain qu’il mange ne lui profite qu’à la condition d’être vraiment à lui. Les Boers sont ainsi faits ; ils n’ont de goût que pour les repas qu’assaisonne la liberté, l’ombre d’un Anglais qui passe suffit pour gâter leur plaisir, et le pain qu’ils mangent devient amer à leur bouche.

Si les Boers ont peu de sympathie pour les Anglais, les Anglais, jusqu’aujourd’hui, avaient considéré les Boers d’un œil superbe et un peu méprisant. M. Émile Montégut a consacré à ces Bataves africains des pages aussi instructives que vivantes et colorées ; peut-être a-t-il plus insisté sur les fâcheux côtés de leur caractère que sur leurs vertus[1]. Quant aux Anglais du Cap ou de Natal, ils n’ont jamais voulu voir que leurs défauts, qu’ils se plaisent à exagérer et à noircir ; à parti-pris point de conseil. Ils les accusent de n’être qu’une race grossière de paysans calvinistes, et la grossièreté mise à part, les Boers n’ont jamais prétendu être autre chose. Ils leur reprochent leurs maisons sans plafonds et sans parquets, percées de rares et étroites fenêtres semblables à des trous de boulets, few in number and resembling shotholes, la passion déplorable que leur inspire la viande de gnou fortement faisandée, leur sordide parcimonie, l’habitude qu’ils ont d’économiser les bouts de chandelle en se couchant comme des poules après avoir expédié le repas du soir, lu leur Bible et récité leurs prières. Ils leur reprochent aussi l’étroitesse et la somnolence de leur esprit, leurs préjugés, l’âpreté de leurs dogmes qui les rend peu tendres pour les indigènes, peu gracieux pour leur prochain. Ils leur reprochent surtout leur attachement à la routine, leur aversion pour les nouveautés, le médiocre parti qu’ils tirent des ressources du pays où ils se sont établis, leurs fermes immenses dont ils ne cultivent que quelques acres, juste de quoi pourvoir à la subsistance de leurs familles. En Afrique ou ailleurs, l’Anglais aime à faire grand ; le Boer fait tout petitement, il vit de ménage, et on assure que c’est lui rendre service que de l’annexer pour lui élargir l’esprit, pour lui donner le goût des entreprises, pour remuer ces eaux dormantes, pour transformer ces lourdauds en hommes d’affaires et de progrès.

Les Boers ont trouvé un chaud défenseur, un éloquent avocat, dans un Écossais, M. Alfred Aylward, qui les connaît bien, ayant passé dix années parmi eux[2]. Il déclare que « ces paysans de haute taille, puissans, robustes, endurcis aux fatigues et aux longues marches, simples et frugaux, ont toute l’étoffe désirable pour constituer une nation, que ce sont des hommes qui font honneur à leur espèce, splendid specimens

  1. Voyez la Revue du 15 avril 1879.
  2. The Transvaal of to-day, by Alfred Aylward.