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Tout cela date de loin, sauf les banquets d’un certain genre, qui sont d’une invention plus récente ; mais à côté de cette étude pratique, incessante des affaires, il y avait autrefois ce qui faisait les vrais hommes d’état, l’art de voir de haut et de combiner les élémens divers de la vie d’une nation, de respecter tout ce qui était une force dans une société ancienne et nouvelle à la fois, de ne pas sacrifier un intérêt à un autre intérêt, une classe à une autre classe, un droit à un autre droit. C’était le complément, le couronnement de cette science expérimentale qu’on possédait autant qu’aujourd’hui, qu’on pratiquait tout bonnement sans lui donner un nom prétentieux, sans la porter comme un évangile dans les banquets. Puisque M. le président de la chambre découvre tant de choses qui existaient avant lui, il aurait pu, par la même occasion, découvrir et s’approprier cette partie supérieure de l’art de l’homme d’état. Il aurait pu aussi, dans ce passé qu’il dénigre, où ont germé des libertés qu’on ne respecte plus trop, il aurait pu retrouver les élémens et les conditions de ce régime parlementaire que ses interventions un peu débordantes ne rendent pas toujours facile, dont on dirait parfois que la notion se perd ou s’efface, tant il règne de confusion sur les rapports des pouvoirs, sur les prérogatives des chambres comme sur le vrai rôle du gouvernement. On vient de le voir, il n’y a que quelques jours, par cette crise à laquelle M. Gambetta n’était point certainement étranger et d’où le ministère n’est sorti pour le moment qu’en abdiquant son rôle, son initiative dans une des questions qui divisent le plus les esprits et qui intéressent le plus le pays.

Que signifie, en effet, cette déclaration que M. le présieent du conseil, après bien des traverses et des délibérations, est allé porter l’autre jour devant la commission de la chambre chargée d’examiner la question du système de scrutin pour les élections prochaines ? M. le président du conseil a certainement fait ce qu’il a pu pour relever ou déguiser le caractère d’un acte qui, après tout, est une résipiscence, une humiliation du pouvoir. Il a courageusement réservé pour le gouvernement Je droit d’avoir une opinion et même de la dire s’il le jugeait convenable ; mais il ne juge pas convenable de dire cette opinion ! Il ne la dira pas parce que la question s’est malheureusement compliquée depuis qu’elle est née, parce qu’elle est devenue une cause de discorde dans la majorité républicaine, une occasion de conflit entre les pouvoirs et au sein des pouvoirs. Puisqu’il y a guerre et discorde, c’est évidemment pour le ministère le moment de s’effacer ! Quel sera le régime électoral de la France, cela ne regarde pas, à ce qu’il paraît, le gouvernement. Le gouvernement n’a rien de mieux à faire que de garder un prudent silence, une innocente neutralité ! C’est ce qu’il appelle « sacrifier à la paix et à l’union du parti républicain, donner l’exemple de la sagesse. » En d’autres termes, le gouvernement demande qu’on le laisse tranquille. — Que cette abstention ait été une