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Cette entreprise présentait de nombreux obstacles. La révolution n’avait point borné ses effets au seul territoire de la France. Elle s’était répandue au dehors par la force des armes, par des encouragemens donnés à toutes les passions et par un appel général à la licence. La Hollande et plusieurs parties de l’Italie avaient vu, à diverses reprises, des gouvernemens révolutionnaires remplacer des gouvernemens légitimes. Depuis que Buonaparte était maître de la France, non-seulement le fait de la conquête suffisait pour ôter la souveraineté, mais on s’était accoutumé à voir de simples décrets détrôner des souverains, anéantir des gouvernemens, faire disparaître des nations entières.

Quoiqu’un tel ordre de choses, s’il eût subsisté, dût nécessairement amener la ruine de toute société civilisée, l’habitude et la crainte le feraient encore supporter, et comme il était favorable aux intérêts momentanés de quelques puissances, plusieurs ne craignirent point assez le reproche de prendre Buonaparte pour modèle.

Nous montrâmes tous les dangers de cette fausse manière de voir. Nous établîmes que l’existence de tous les gouvernemens était compromise au plus haut degré dans un système qui faisait dépendre leur conservation ou d’une faction ou du sort de la guerre. Nous fîmes voir enfin que c’était surtout pour l’intérêt des peuples qu’il fallait consacrer la légitimité des gouvernemens, parce que les gouvernemens légitimes peuvent seuls être stables, et que les gouvernemens illégitimes, n’ayant d’autre appui que la force, tombent d’eux-mêmes dès que cet appui vient à manquer et livrent ainsi les nations à une suite de révolutions dont il est impossible de prévoir le terme.

Ces principes, trop sévères pour la politique de quelques cours, opposés au système que suivent les Anglais dans l’Inde, gênans peut-être pour la Russie, ou que du moins elle avait elle-même méconnus dans plusieurs actes solennels et peu anciens[1], eurent pendant

  1. Dans sa lettre à Metternich, M. de Talleyrand rappelait que le partage de la Pologne avait été le « prélude, en partie la cause peut-être, jusqu’à un certain point l’excuse, des bouleversemens auxquels l’Europe a été en proie. »
    Ou n’a pas assez remarqué que M. de Talleyrand était parvenu à faire réprouver le principe du partage de la Pologne par les puissances mêmes qui l’avaient consommé.
    « C’était certes une grande leçon morale que de voir les puissances qui avaient détruit la Pologne s’unir ainsi à celles qui l’avaient laissé détruire pour flétrir cette grande iniquité. »
    (Viel-Castel, Histoire de la restauration, t. II, p. 222.)