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de leurs colonies, et si l’on pense combien, dans ces pays un peu arriérés, l’opinion sur cette matière a besoin d’être préparée.

La navigation du Rhin et de l’Escaut fut soumise à des règles fixes, les mêmes pour toutes les nations. Ces règles empêchent les états riverains de mettre à la navigation des entraves particulières, et de l’assujettir à d’autres droits que ceux qui sont établis pour leurs propres sujets. Ces dispositions rendent à la France, par les facilités qu’elles lui donnent pour son commerce, une grande partie des avantages qu’elle retirait de la Belgique et de la rive gauche du Rhin[1].

Tous les points principaux avaient été réglés à la satisfaction de la France, autant et plus peut-être qu’il n’était permis de l’espérer. Dans les détails aussi, on avait eu égard à ses convenances particulières, aussi bien qu’à celles des autres pays.

Depuis que, revenues de leurs préventions, les puissances avaient senti que, pour établir un ordre de choses solide, il fallait que chaque état y trouvât tous les avantages auxquels il a droit de prétendre, ou avait travaillé de bonne foi à procurer à chacun ce qui ne peut pas nuire à un autre. Cette entreprise était immense. Il s’agissait de refaire ce que vingt années de désordres avaient détruit, de concilier des intérêts contradictoires par des arrangemens équitables, de compenser des inconvéniens par des avantages majeurs, de subordonner même l’idée d’une perfection absolue dans des institutions politiques et dans la distribution des forces à l’établissement d’une paix durable[2].

  1. On ne peut s’empêcher de reconnaître la justesse des vues exprimées par M. de Talleyrand sur la liberté des transports ; en bien des circonstances, on sent qu’il prévoit le développement extraordinaire que les communications plus faciles devaient donner à toutes les industries. Il faut se rappeler, d’ailleurs, que son premier comme son dernier acte diplomatique a été de chercher à nouer des rapports de commerce avec l’Angleterre.
  2. On lit dans le Moniteur universel du 27 juillet 1815, sur les résultats du congrès de Vienne :
    « De combien de maux eût préservé l’Europe, et nous aurait préservés nous-mêmes, une confédération sincère et solide, pareille à celle que nous voyons aujourd’hui ! Mais ce n’est point aux auteurs du mal d’accuser ceux qui en ont été les victimes… Ainsi s’écroula cet antique édifice de ce que Voltaire a si bien appelé la république européenne, devant une puissance nouvelle qui, tantôt dans l’intérêt de ses maximes toutes neuves, tantôt dans l’intérêt d’un seul homme et d’une dynastie usurpatrice, voulait que tout changeât autour d’elle, que tout se modifiât devant elle, que tout participât à sa nouveauté si effrayante. Il était donc aujourd’hui question de le reconstruire : tel fut l’ouvrage du congrès. Adoptons l’idée lumineuse et juste de l’auteur du Siècle de Louis XIV, et sans partager les idées honorables du grand Sully et du bon abbé de Saint-Pierre, considérons un moment l’Europe dans son ensemble et dans le système général de ses rapports fondamentaux, comme une société, comme une famille, comme une république de princes et de peuples. De ce point de vue nous apercevons, au milieu du conflit plus apparent que réel de tant d’intérêts qui semblent se croiser et se combattre, quelque principe fixe et incontestable, propre à résoudre plus d’un problème politique. »