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nomination de M. de Bruges[1], par exemple, à la place de grand chancelier de la Légion d’honneur, quelques qualités personnelles qu’il pût avoir, a déplu à tout le monde en France, et, je dois le dire à Votre Majesté, a étonné tout le monde en Europe.

L’inquiétude rallia au parti des révolutionnaires tous ceux qui, sans avoir partagé leur erreurs, étaient attachés aux principes constitutionnels et tous ceux qui avaient intérêt au maintien, non des doctrines de la révolution, mais de ce qui s’était fait sous leur influence[2].

C’est bien plutôt à ces causes qu’à un véritable attachement pour sa personne que Buonaparte a dû de trouver quelques partisans hors de l’armée, et même une grande partie de ceux qu’il a eus dans l’armée, parce que, élevé avec la révolution, il était attaché par toutes sortes de liens aux hommes qui en avaient été les chefs.

On ne peut se dissimuler que, quelque grands que soient les avantages de la légitimité, il peut aussi en résulter des abus. Il y a à cet égard une opinion fortement établie, parce que, dans les vingt années qui ont précédé la révolution, la pente de tous les écrits politiques était de les faire connaître et de les exagérer. Peu de personnes savaient apprécier les avantages de la légitimité, parce qu’ils sont tous de prévoyance. Tout le monde est frappé des abus, parce qu’ils peuvent être de tous les momens et se montrer dans toutes les occasions. Qui, depuis vingt ans, s’est donné assez le temps de réfléchir pour avoir appris qu’un gouvernement, s’il n’est légitime, ne peut être stable; qu’offrant à toutes les ambitions l’espérance de le renverser pour le remplacer par un autre, il est toujours menacé, et porte en lui un ferment révolutionnaire toujours prêt à se développer? Il est malheureusement resté dans les esprits que la légitimité, en assurant au souverain, de quelque manière qu’il gouverne, la conservation de sa couronne, lui donne trop la facilité de se mettre au-dessus de toutes les lois.

  1. «Une mauvaise ordonnance sur la Légion d’honneur, dont le chancelier est M. de Bruges; une mauvaise ordonnance sur l’université, dont je vous ai parlé, voilà ce qui est fait; ce qui ne se fait pas, c’est une direction commune, une sincérité consciencieuse, une marche ferme et suivie... Demain dimanche, le roi recevra M. de Sèze; il n’a pas voulu recevoir après le chancelier de la Légion d’honneur. Ses mains royales se plaisent à tenir le cordon bleu; cela est bien simple ; ses mains françaises toucheraient le cœur de trente-sept mille légionnaires s’il avait jeté au cou de M. de Bruges le grand cordon de la Légion, et encore mieux si cela avait été à un autre cou. »
    (Jaucourt à Talleyrand, 18 février 1814.)
    C’est le même M. de Bruges qui avait été proposé pour la préfecture de police. Louis XVIII avait répondu : « Oh ! non, il n’est pas assez frotté de Paris. »
  2. Napoléon recevant Lanjuinais, président de la chambre des représentans, lui demanda s’il était bonapartiste ou bourboniste. — Je suis patriotiste, répondit Lanjuinais. La cause de la révolution est aujourd’hui la vôtre. Aux conditions de la monarchie constitutionnelle, je vous soutiendrai franchement.