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Majesté dans ce rapport. J’ai dû bien moins encore m’en dispenser lorsque les souverains, dans les audiences de congé qu’ils m’ont accordées, m’ont tous recommandé de dire à Votre Majesté qu’ils sont intimement convaincus que la France ne saurait jamais être tranquille si Votre Majesté ne partageait pas ces opinions sans réserve et ne les prenait pas pour règle unique de son gouvernement; qu’il fallait que tout fût oublié en France[1] et le fût sans restriction, que toute exclusion était dangereuse, que l’on n’y pourrait trouver de garantie pour le souverain que quand il y en aurait pour tous les partis, et que ces garanties ne seraient suffisantes qu’autant qu’elles seraient jugées telles par toutes les classes de la société; qu’il me paraît indispensable d’arriver à un système complet et tel que chaque partie en fasse ressortir la sincérité et la rende évidente, qui fasse voir clairement, et dès le commencement, le but auquel tend le gouvernement, qui mette chacun en état d’apprécier sa propre position et qui ne laisse d’incertitude à personne[2]. Ils ont ajouté que, si Votre Majesté paraissait plus

  1. «Je suis amené, en vous parlant du Journal de l’Europe, à vous entretenir de nouveau de celui de Gand. Il déplaît généralement. Souvent il est injurieux, ce qui est au moins inutile et ordinairement nuisible. Vous devriez bien dire au rédacteur qu’il faut qu’il ait la force de ne jamais se montrer réacteur, et, pour cela il faut plus de force qu’on ne pense. »
    (De Vienne, Talleyrand à Jaucourt, 17 mai 1815.)
  2.  » L’abbé avait été se coucher et avait seulement dit dans la soirée : « On me force d’ôter un excellent préfet de Rennes. Celui que j’y remettrai ne le vaudra pas. Mais quoi! ou suppose que je ne veux pas prendre une seule mesure pour arrêter les agitations en Bretagne? Il a fallu céder. » Il est vrai de dire que l’abbé a tout à fait changé de système, qu’il regrette d’avoir déplacé des préfets, qu’il déclare que les nouveaux sont loin de valoir les anciens, qu’il défend actuellement, jusqu’à en être tout à fait mal avec les princes, les hommes en place, et que, loin de se prêter à ce prétendu système de restauration, c’est-à-dire de changement, il est tout entier à la constitution, à la permanence, et même dans l’opinion que le statu quo de la classe du tiers, des nouveaux nobles, des gens exercés au travail dans l’activité des places, et, pour le dire en un mot, de la France, doit être irrévocablement maintenu. »
    (Jaucourt à Talleyrand, janvier 1815.)
    « Monsieur le comte, je reçois votre Journal universel (imprimé à Gand), n° 3 et 4. Je vous prie de faire observer aux personnes qui le rédigent que tous les articles doivent être écrits avec beaucoup plus d’art et de réflexion, soit quant au fond des choses, soit quant aux expressions. Cette remarque aujourd’hui tombe sur le mot nationaliser, dont le sens est un peu durement fixé. L’empereur de Russie, à qui vous devez désirer de plaire, se sert continuellement de cette expression, soit dans sa conversation, soit dans les actes qui émanent de lui, et hier ce qui l’entourait s’est montré choqué de la manière dont on cherchait à flétrir une des expressions dont il fait le plus d’usage. Un journal fait auprès du roi doit être écrit avec bien plus de précaution que les meilleurs journaux que l’on pourrait faire à Paris. Dites bien aux rédacteurs que, dans la position des choses, le talent est le tact. Dans le n° 2, par exemple, on aura remarqué en France : La nature, la politique, la justice conseillaient, commandaient peut-être des actes de rigueur. Cette phrase aura inquiété à Paris, tandis que tous les actes doivent avoir pour objet de rassurer tout le monde. On ne peut pas trop employer de moyens pour rassurer, parce qu’il faut rassurer de mauvaises consciences, et il y en a terriblement en France. Les bonnes viendront toujours. Dites à Lally de mettre toute son indignation en indulgence. La première prête plus à l’éloquence, mais la seconde davantage à l’esprit, et comme il a de tout à sa disposition, il ne faut que le lui faire remarquer.
    M. de Blacas a bien tort quand il donne pour excuse à des lettres qui ont déplu, qu’elles sont dans les mêmes formes que celles écrites d’Hartwell. Il nous revient de partout qu’il ne sait pas qu’en toutes choses il faut éviter les formes de l’émigration. Tout ce qui la rappelle plaît à quelques gens inutiles et nuit beaucoup vis-à-vis de tout ce qui vaut quelque chose au dehors et au dedans. »
    (Talleyrand à Jaucourt, 6 mai 1815.)