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PINDARE.

cun de nous sent que de pareils chants n’auraient pas eu de peine à le toucher. Nous nous associons facilement aussi par l’imagination à l’émotion qu’excitaient ces antiques formes du dithyrambe, où les épreuves merveilleuses de Bacchus, sa sortie du sein de sa mère foudroyée, sa mort, sa résurrection, ou bien encore les aventures d’un héros national, provoquaient des effusions de joie et de douleur. Les ïambes eux-mêmes, surtout ceux d’Archiloque, ces satires virulentes qui, dit-on, transportaient l’antiquité d’admiration, ne nous laisseraient pas insensibles à l’énergique expression de ces haines publiques et privées dont les objets nous sont inconnus. Toutes ces passions semblent étrangères à Pindare, et notre besoin d’émotions cherche vainement où se prendre dans cette sérénité souveraine.

Il ne connaît pas davantage la douce sensibilité de Simonide, qui, comme lui et avant lui, avait été le poète des triomphes et des fêtes, et qui cependant nous a laissé quelques vers où une tendresse infinie respire sous l’enveloppe élégante dont son art a revêtu la légende de Danaé. Il n’y a pas de tendresse chez Pindare. Porte-t-il au moins en lui quelque chose de cette mélancolie tellement en honneur depuis un siècle chez les modernes, qu’ils ne conçoivent guère un poète qui n’en soit plus ou moins atteint ? Oui, sans doute, cette source profonde d’émotions, où ont puisé tous les grands poètes de la Grèce, n’a pu lui être fermée. Mais quelle différence entre la mélancolie, que Goethe, Chateaubriand, Byron, Lamartine nous ont appris à aimer, et celle qui se sent parfois dans ses œuvres ! La sienne est absolument exempte d’égoïsme et de faiblesse. Ce ne sont point les confidences d’une âme qui se complaît à s’offrir au monde comme un exemple de ces vagues tristesses qui envahissent certaines natures d’élite. Pour lui, sa personne propre disparaît, perdue dans une vue générale de la destinée humaine : « Êtres éphémères, que sommes-nous ? que ne sommes-nous pas ? L’homme est le rêve d’une ombre. — Ô dieux ! combien s’égare la pensée ignorante de ces êtres d’un jour ! — Un homme possède la richesse et l’emporte sur les autres en beauté ; vainqueur, il a fait éclater sa force dans les luttes : qu’il se souvienne qu’il a revêtu un corps mortel et qu’à la fin il revêtira la terre. » Ces graves paroles, qui font penser à l’Écriture et à Bossuet, et qui d’ailleurs ne résonnent que comme quelques notes isolées dans un concert d’harmonies mâles et brillantes, n’atteignent pas jusqu’à ces régions intimes où s’éveillent les délicatesses de la sensibilité moderne.

Sans aller jusqu’au pathétique, un récit peut exciter un vif intérêt. L’abondance du développement, la disposition dramatique des faits, le simple mérite d’un enchaînement régulier, où tout se suit depuis le commencement jusqu’à la fin, suffisent pour nous atta-