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cet accord est cependant plus apparent que réel et cache déjà plus d’un malentendu. La mésintelligence éclate bientôt. L’alliance est, sinon tout à fait brisée, au moins assez relâchée pour ne plus se renouer que par circonstance, dans quelque moment d’émoi, comme après l’élection socialiste de Paris au printemps de 1850. La lutte est au fond de tout; elle renaît sans cesse de mois en mois, de session en session. C’est selon le langage d’alors, la guerre du parlement et de l’Elysée : au bout est le 2 décembre 1851!

Il y a donc dans cette tumultueuse carrière, ouverte par la révolution de 1848, dans ce drame aux péripéties multiples, il y a donc à travers tout deux périodes principales : l’une où la république, par ses agitations, suscite la résistance et fait une obligation du combat, — l’autre où, par degrés, en dépit de tous les efforts, la réaction, personnifiée encore une fois dans un Napoléon, court à un nouveau 18 brumaire. Quels sont dans ces phases diverses, presque opposées, mais liées par une terrible logique, les mobiles, les inspirations, les interventions, les actes de M. Thiers aux prises avec des dangers successifs? quel a été son rôle dans ce courant redoutable d’événemens, avant le 10 décembre 1848 et après le 10 décembre, vis-à-vis de la république et vis-à-vis de la présidence napoléonienne, ce prélude d’un nouvel empire?

La révolution de février était certes une pénible épreuve pour M. Thiers et ses amis, qui, en faisant la guerre à un cabinet, en combattant une politique, ne se proposaient nullement de renverser la monarchie de juillet. M. Odilon Barrot et son parti ne le voulaient pas plus que M. Thiers et ses amis. Les uns et les autres, appelés aux Tuileries le matin du 24 février, n’avaient touché au gouvernement que pour voir tout s’écrouler. M. Thiers, dans cette matinée, avait-il eu le pouvoir de sauver la monarchie? Il s’en est défendu depuis avec véhémence dans une occasion où, devant l’assemblée de la république, il venait de soulever des orages en appelant « funestes» les journées de février. « Je proteste, s’écriait-il, devant l’histoire et la postérité contre cette assertion que les partis jettent quelquefois à la tête de mes amis et particulièrement à la mienne, que nous ayons eu dans ces journées le pouvoir de sauver la monarchie. Non, nous n’avons pas eu ce pouvoir... Croyez bien que, si cela avait dépendu de notre dévoûment le plus absolu, elle existerait encore! » Il avait eu même en pleine crise, — c’est lui qui l’a raconté quelques années après[1], — il avait eu une idée qu’il a

  1. On retrouvera avec intérêt quelques-unes des opinions ou des impressions que M. Thiers exprimait souvent avec l’abandon de la familiarité dans un livre anglais qui n’est qu’une collection de souvenirs sur les hommes politiques français : Conversations with M. Thiers, M. Guizot, etc., by the late Nassau William Senior. Loudon, 1878.