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du diocèse d’Autun, un article spécial recommandait aux maîtres « de recevoir les pauvres avec la même affection que les riches. »

Cette recommandation ne s’adressait, cela va sans dire, ni aux maîtres faisant partie d’une congrégation, ni à ceux qui tenaient des écoles fondées par des particuliers — et le nombre des uns comme des autres était considérable. Dans ces écoles, il n’était perçu aucune rétribution sur les enfans. Ç’avait même été longtemps pour les congrégations enseignantes et notamment pour les frères de la doctrine chrétienne une source de difficultés et de procès avec les grammairiens et les maîtres écrivains. À Rennes, le parlement avait été sur le point de les expulser ; à Chartres, ils n’avaient été reçus que grâce à l’intervention du duc d’Orléans ; à Paris, les grammairiens prétendaient exercer sur leurs établissemens un droit de contrôle et de visite et les accusaient de concurrence déloyale. Mais tous ces obstacles n’arrêtèrent pas les progrès de l’institut du vénérable Jean-Baptiste de La Salle. Déjà, de son vivant, cet éminent pédagogue avait eu la satisfaction de voir son ordre appelé dans plusieurs grands centres comme Rouen. En 1789, la majeure partie des écoles publiques dans les villes étaient tenues par des ignorantins[1], comme on les appelait déjà.

Voilà pour le nombre et la gratuité des écoles ; quant aux résultats qu’elles donnaient, on a pu, dans plusieurs départemens, en relever quelques-uns. D’après M. Babeau, dans l’Aube, la moyenne des habitans, hommes et femmes, sachant lire et écrire était vers 1780 d’environ 47 pour 100. Dans le Nord[2], de 1750 à 1790 le nombre des conjoints et des conjointes ayant pu signer leur acte de mariage s’élève : pour les premiers à 53.97 pour 100, pour les secondes à 36.29 pour 100. D’après M. Fayet, — nous ne citons ici

  1. C’est à ce point que le président Rolland, que La Chalotais lui-même dont a si souvent de nos jours vanté le libéralisme, n’eussent pas été très éloignés de les expulser. « Il ne faut pas confondre, écrivait Rolland, des congrégations respectables avec un nouvel ordre fondé par le sieur de La Salle. Cette congrégation n’est pas autorisée par lettres patentes dans le ressort de la cour et mérite la plus grande attention. » Quant à La Chatotais, voici dans quels termes il s’exprimait aux applaudissemens de Voltaire : « Les frères de la doctrine chrétienne qu’on appelle ignorantins sont survenus pour achever de tout perdre. Ils apprennent à lire et à écrire à des gens qui n’eussent dû apprendre qu’à dessiner et à manier le rabot. Le bien de la société demande que les connaissances du peuple ne s’étendent pas plus loin que ses occupations. Tout homme qui voit au-delà de son triste métier ne s’en acquittera jamais avec courage et patience. Parmi les gens du peuple, il n’est presque nécessaire de savoir lire et écrire qu’à ceux qui vivent par ces arts ou que ces arts font vivre. »
  2. De Resbecq, Histoire de l’instruction primaire avant 1789 dans les communes qui ont formé le département du Nord.