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homme d’un vaste savoir, deviennent tout à fait maîtres de la situation. Dès ce moment, les aborigènes montagnards, Paï, I-Jen Miao-tzù, Man-tzù, Lissou, Min-Chia et autres, profitent de la faiblesse des Chinois pour reconquérir leur ancienne indépendance et descendent dans les plaines d’où ils avaient été chassés.

A Pékin, on est tellement occupé du triomphe des rebelles Taipings et des traités qu’exigent les Anglais et les Français, qu’on laisse l’insurrection se développer sans y apporter d’entraves sérieuses. Après un siège de courte durée, Yunnan-Fu, la capitale de la province de ce nom, tombe aux mains des musulmans. Leurs coreligionnaires du Shen-si, du Kan-su et du Kouei-chou, tiennent de leur côté hardiment tête aux troupes impériales. Les rôles sont entièrement intervertis.

« Ici, dit M. Emile Rocher, se place un événement qui va changer la face des choses et imprimer à la guerre un nouveau caractère. » Le grand-prêtre Ma-Tê-hsing et le chef des rebelles Ma-Hsien, quoique vainqueurs, comprirent-ils que leurs conquêtes ne pouvaient être qu’éphémères? Se doutaient-ils que le gouvernement impérial pourrait bientôt diriger des forces contre eux? Ou bien étaient-ils sincères et ne demandaient-ils pas mieux que de mettre d’une façon satisfaisante un terme aux maux qui affligeaient le pays? Toujours est-il qu’ils proposèrent la paix aux mandarins surpris d’une semblable démarche, et qu’elle fut acceptée.

Pour arriver à une convention durable entre Chinois et mahométans rebelles, il fallait nécessairement obtenir l’adhésion de la cour de Pékin; c’était là le côté le plus curieux et le plus difficile de l’affaire. Jusqu’ici, les mandarins avaient dépeint la situation de la province du Yunnan sous les aspects les plus brillans, et Ma-Hsien comme l’âme de la rébellion. Or, d’après la convention, les Chinois avaient dû consentir à accorder à ce dernier le titre de général de brigade, chên-t’ai. Par quelle supercherie pourraient-ils maintenant, sans se contredire, faire admettre l’élévation d’un chef rebelle à l’une des plus hautes dignités militaires de l’année chinoise? Rien n’était pourtant plus aisé dans un pays où le despotisme régnait et où manquaient les communications. Ils persuadèrent à Ma-Hsien, sous prétexte de faciliter les choses, de changer la dernière syllabe de son nom Hsien en celle de Ju-lung, et celui-ci y ayant consenti, le fu-t’ai ou gouverneur de la province et ses collègues purent présenter à Pékin, comme le hbérateur du pays, un nommé Ma-Ju-lung, c’est-à-dire le même individu qui, quelques jours avant, était considéré comme le pire des malfaiteurs.

On ne maîtrise pas une guerre civile ou religieuse aussi aisément qu’on la déchaîne. La soumission de Ma-Hsien ou de Ma-Ju-lung