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d’ingénieux, de libre et de galant à la façon du XVIIIe siècle, vous avez emporté le fond avec la forme, la substance avec l’enveloppe, et la moelle avec l’écorce. Mais, au contraire, pourquoi la Princesse de Clèves et pourquoi Manon Lescaut dureront-elles autant que la langue française? pourquoi Valentine et pourquoi Eugénie Grandet? des œuvres cependant bien diverses, et je ne crains pas d’ajouter, d’une qualité de style singulièrement inégale? Justement parce qu’elles ne sont datées, en dépit de la chronologie, ni Manon Lescaut de 1731, ni Valentine de 1833 ; parce que les indications de temps et de milieu, le costume et le mobilier, le décor et le langage du jour, n’y sont que ce qu’ils devraient toujours être, des accessoires ; parce que ce sont des œuvres enfin composées par le dedans, et non pas fabriquées laborieusement par le dehors. Autre point, qu’il importe encore de tâcher d’éclaircir.

Ce que l’on ne peut pas en effet disputer au réalisme, naturalisme, impressionnisme, ou de quelque autre nom qu’on l’appelle, c’est qu’il n’y a de ressource, de salut et de sécurité pour l’artiste et pour l’ait que dans l’exacte imitation de la nature. Là est le secret de la force, et là, — ne craignons pas de le dire, — la justification, la légitimité du mouvement qui ramène en ce moment même tous nos écrivains des sommets nuageux du romantisme d’autrefois au plat pays de la réalité. D’où vient donc le malentendu? et pourquoi, si je lis la Maîtresse, de M. Jules Claretie, ferai-je à l’auteur un grief de ce que j’ai l’air de louer quand je parle de Flaubert et de Madame Bovary, — mais non pas, à la vérité, de Bouvard et Pécuchet? Pareillement, ce que j’ai plaisir à louer dans le Nabab ou dans les Rois en exil, comment se fait-il qu’à mon grand regret je croie devoir le reprendre dans la Dame du lac ou dans le Mariage de Rosette? La réponse est bien simple. Il me serait facile d’opposer en termes généraux la supériorité de l’exécution, dont je suis parfois tenté de croire qu’elle pourrait bien être le tout de l’art, mais il est tout loisible de pousser plus avant, et nous ne sommes pas au terme de l’analyse. Il est rigoureusement vrai que M. Alphonse Daudet a mis en œuvre des élémens ou des matériaux du même genre que ceux dont MM. Le Senne et Texier font emploi ; mais dans le Nabab et dans les Rois en exil, l’idée du roman et la connaissance des types était antérieure à la recherche, à l’accumulation, au choix des matériaux : les auteurs de la Dame du lac et du Mariage de Rosette, au contraire, avaient déjà tous leurs matériaux assemblés et comme sous la main qu’ils attendaient encore qu’une occasion se présentât de les utiliser. En d’autres termes, ils avaient évidemment décidé que la Dame du lac, roman parisien, serait suivie d’un autre roman parisien, mais ils ne savaient pas ce que serait ce roman, et ils attendaient qu’un événement parisien à intervenir leur en fournît le sujet, quel qu’il fut et pût être. C’est encore ainsi que la Vive curiosité de M. Claretie s’étant un jour portée sur « ces névroses