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son rôle, ne se doute pas qu’il suscite un bien autre problème; il conduit les esprits prévoyans à se demander si Paris constitué et composé comme il l’est, avec ses traditions, son caractère, sa destination, est une ville comme une autre, et si dans cette ville extraordinaire il y a place pour un conseil local qui est la représentation de tout ce que l’on voudra, excepté de ce qui fait la puissance, la richesse, l’éclat intellectuel de Paris. De cela naturellement on n’a rien dit l’autre jour au Palais-Bourbon; tout s’est borné à une escarmouche, à quelques explications sommaires auxquelles la chambre s’est hâtée de couper court pour prendre son congé, laissant le pays et le gouvernement en face d’une affaire plus sérieuse pour la France que l’enquête Cissey et toutes les querelles municipales.

Quelques jours en effet ont suffi pour tirer de la demi-obscurité où elle s’agitait cette question de la Tunisie, pour presser les événemens et appeler la France à l’action pour la défense de la frontière algérienne violée. Il y a quelques semaines encore, on pouvait délibérer et temporiser; maintenant le sang a coulé, des paroles décisives ont été prononcées, il ne reste plus pour la France qu’à se montrer résolue, à sauvegarder ses droits et ses intérêts sans songer à mettre en péril les intérêts légitimes, reconnus et définis que d’autres pourraient avoir sur ces rivages d’Afrique où notre drapeau flotte depuis un demi-siècle. Commentées complications ont été préparées, comment elles se sont précipitées tout récemment, on le sait à peu prés. Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’il y a des difficultés nées de circonstances, de causes de diverse nature. La première, la plus immédiate de ces causes est l’insécurité complète de toute cette région limitrophe entre l’Algérie et la Tunisie, du port de La Galle au port de Souk-Arrhas. Là, dans tous ces massifs montagneux qui forment une sorte de Kabylie tunisienne, s’agitent des peuplades barbares connues désormais dans l’histoire courante sous le nom de Khroumirs, à demi indépendantes du bey, accoutumées à une vie de déprédations et de meurtres. Depuis des années, les Khroumirs n’ont cessé de se livrer à toute sorte de violences, depuis le pillage des navires échoués sur la côte à quelques lieues de La Calle jusqu’aux incursions à main armée sur notre territoire et aux agressions contre nos tribus algériennes, toujours menacées dans leur vie et dans leurs propriétés. Les méfaits de tout genre qu’ils ont commis sont sans nombre. Ce ne sont là cependant encore que des difficultés de frontières, des violences locales à peu près inévitables et dont il n’y a pas trop à s’alarmer tant qu’elles ne prennent pas certaines proportions, surtout tant qu’elles ne se lient pas à d’autres circonstances; mais il est évident qu’en même temps, depuis quelques années, il y a eu un changement sensible dans les dispositions du souverain de la régence à notre égard. Les apparences sont restées les mêmes dans les relations officielles ; en réalité, le bey, soit sous l’obsession des conseillers intéressés qui l’entourent,