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de Châlons ; la correction relative de la latinité, le choix des expressions, le tour cicéronien de la période, trahissent même un haut gradué universitaire. Il est d’autant plus intéressant de voir un homme d’une culture aussi supérieure rattacher, comme un effet à sa cause, les succès de Jeanne d’Arc dans le cours de l’année 1429 à la coïncidence du vendredi saint et de l’Annonciation qui avait signalé cette même année.

On remarque toujours une recrudescence de mysticisme chez les peuples que vient de frapper un grand désastre. Si les sociétés les plus sceptiques subissent jusqu’à un certain point cette influence au jour des tragiques épreuves, à plus forte raison une nation foncièrement croyante ne saurait y échapper ; on la voit d’ordinaire se rejeter dans la dévotion et parfois dans la superstition d’un élan d’autant plus éperdu qu’elle a été plus profondément, précipitée dans l’abîme de la mauvaise fortune. Il n’y a pas dans l’histoire de notre pays de période plus néfaste que celle qui s’étend entre le traité de Troyes et le siège d’Orléans. La défaite de Verneuil essuyée vers le milieu de 1424 marque l’un des momens les plus critiques de cette période, et la cause nationale reçut là un coup si terrible que l’on put croire qu’elle ne s’en relèverait pas. Voyant ainsi leurs chances de succès purement humaines diminuer de jour en jour, comment Charles VII et ses partisans n’auraient-ils pas fondé leur suprême espoir sur la protection d’en haut ? Or, dans la croyance populaire, il y avait alors deux personnages surnaturels en qui s’incarnait surtout cette protection : ces deux personnages étaient l’archange du Mont-Saint-Michel et la Vierge du Puy. A la fin de juin 1425, l’archange avait manifesté sa protection en écrasant les Anglais qui assiégeaient son sanctuaire, et Jeanne avait peut-être conçu la première idée de sa mission à la nouvelle de cette victoire. Sitôt que l’on vit approcher le vendredi de l’Annonciation de l’année 1429, on se persuada que la Vierge du Puy avait choisi cette conjoncture solennelle pour faire sentir à l’envahisseur, par une démonstration éclatante, la force de son bras. Aussi, dès la fin de 1428, les habitans des régions de la France où l’on reconnaissait l’autorité du dauphin vécurent pour ainsi dire dans l’attente de ce grand événement. Il était facile de prévoir qu’en de telles conditions, le pèlerinage au Puy prendrait encore plus de développement qu’en 1407 et en 1418. Pour prévenir les affreux accidens qui s’étaient produits dans ces deux occasions, Charles VII obtint du pape Martin V que les indulgences extraordinaires attachées à la visite au sanctuaire de la Vierge pendant la semaine sainte auraient cours jusqu’au dimanche 3 avril. En 1429, le carême commença le mercredi 9 février. A cette date, les Anglais