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Eustache Lesueur, Sébastien Bourdon, Charles Lebrun, L. de la Hire, Michel Corneille, François Perrier. La maîtrise poursuivit ces audacieux par toutes voies légales. En 1646, portée par le vent de fronde qui soufflait sur Paris, elle introduisit requête tendant à interdire au roi lui-même le droit d’entretenir à la cour des peintres exerçans à l’abri de son contrôle. Pour appuyer la requête, elle fît saisie chez deux peintres de sa majesté, Levêque et Bulot, et confisqua leurs tableaux. Le Châtelet déclara la saisie valable, enjoignant aux peintres du roi « lorsqu’ils ne seroient point employés pour le service de leurs majestés, de travailler en chambre pour la communauté, avec défense d’exécuter aucun ouvrage pour destinations non consenties par les dits maîtres, à peine de confiscations des dits ouvrages, de 500 livres d’amende et même de punition exemplaire. » Les mêmes conclusions contenaient, entre autres défenses exorbitantes, celle « d’exposer en vente aucun tableau. »

Cet effroyable despotisme eut pour effet naturel d’unir plus étroitement le groupe de résistance et d’exciter son courage en le rapprochant de la cour, non moins blessée que les artistes par le rigoureux arrêt du parlement. Les maîtres-jurés, en faisant saisie chez tous les peintres royaux, n’avaient respecté qu’une seule porte, celle de Lebrun, récemment arrivé d’Italie. Lebrun repoussa cette exception comme un outrage et ne voulut point séparer sa cause de celle de ses amis. Avec la décision et l’activité qu’il montrait déjà en tout, il se mit résolument à leur tête, les engagea à faire face à l’ennemi et à se constituer en académie sur le modèle des académies italiennes, dont quelques-unes avaient dû soutenir des luttes pareilles pour se soustraire à la tyrannie des corporations d’arts et métiers. Dès lors, les affaires des artistes prirent une face nouvelle. Lebrun leur trouva d’abord un protecteur dévoué dans M. de Charmois, qui se chargea de présenter leur requête à la reine mère outragée. Le 20 janvier 1648, le conseil d’état, par un arrêt rendu en présence du roi, reconnut l’académie de peinture et de sculpture et interdit aux maîtres-jurés de lui « donner aucun trouble et empeschement. » La lutte toutefois n’était pas terminée. L’académie était pauvre, la maîtrise était riche. Cette dernière entama procès sur procès, ouvrit école contre école, restaura à grand bruit l’académie de Saint-Luc en lui donnant pour « prince » Mignard, déjà piqué contre Lebrun d’une incurable jalousie, et obtint même un moment, en 1651, de l’Académie aux abois un traité de jonction. Lebrun, seul, ne souscrivit pas à cette paix fourrée et se tint sur la réserve ; il n’attendit pas longtemps. En 1654, l’académie dut l’appeler de nouveau à son secours, il la plaça sous la protection du cardinal Mazarin, mais elle faillit encore périr par suite des difficultés d’argent, des tiraillemens d’amour-propre,