Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’inertie du plus grand nombre. Lebrun la sauva une dernière fois à la mort du cardinal, en s’adressant à Colbert, dont il pressentait la grandeur. Il avait enfin trouvé son homme. Les statuts furent renouvelés en 1663. Personne n’osa plus inquiéter l’Académie, désormais pensionnée par le roi[1].

De cette époque datent les premières expositions publiques. L’article 25 des statuts renouvelés prescrivait que tous les ans, lors de l’assemblée générale, en juillet, « chacun des officiers et académiciens seroient obligés d’apporter quelque morceau de leur ouvrage pour servir à décorer le lieu de l’Académie ; auquel jour se fera le changement ou élections desdits officiers, dont seront exclus ceux qui ne présenteront point de leurs ouvrages. » Les procès-verbaux de l’Académie, en cours de publication[2], prouvent qu’on eut bonne volonté d’exécuter le règlement. En 1667, on y voit 60 livres données au sieur Péron, concierge, « pour son soin et sa peine durant quinze jours qu’a duré l’exposition publique, » et 15 livres « au modèle » qui a aussi été employé plusieurs journées. En 1669, on expose les envois des pensionnaires de Rome « avecq liberté aux estudians de donner leur advis par escrit ou de vive voix, lesquels seront examinés par l’Académie. » Cet encouragement à l’exercice de la libre critique chez les jeunes artistes n’a rien qui doive surprendre ; c’était la conséquence de l’obligation imposée par les statuts à tout académicien de faire à son tour des conférences sur quelques points de son art. L’Académie occupait alors un appartement dans le palais Brion, dépendance du Palais-Royal, construit par Lemercier sur l’emplacement qu’occupe aujourd’hui le Théâtre-Français. Elle s’y trouva vite à l’étroit. Dès 1671, les salons intérieurs ne suffisent plus au placement des œuvres présentées ; on descend en plein air et on « entoure de tableaux » la cour de l’hôtel de Richelieu. Le jour de la distribution des prix, Lebrun fait une conférence sur « la physionomie humaine. » En 1673, l’exposition, plus nombreuse, se renouvelle dans les mêmes conditions. C’est sub jove crudo que se déroulent, entre autres toiles célèbres, suspendues aux murailles, les quatre épopées de Lebrun : la Défaite de Porus, le Passage du Granique, la Bataille d’Arbèles, le Triomphe d’Alexandre. Ces immenses compositions, d’une ordonnance si décorative, d’une allure si triomphale, dans

  1. On peut suivre les curieuses péripéties de cette lutte acharnée dans les Mémoires pour servir à l’histoire de l’Académie royale de peinture et de sculpture, probablement dus à Henri Testelin, l’un de ses premiers sociétaires, publiés par M. A. de Montaiglon, et dans le beau livre de Vitet, l’Académie royale de peinture et de sculpture.
  2. Procès verbaux de l’Académie royale de peinture et de sculpture publiés pour la Société de l’Histoire de l’art français d’après les registres originaux conservés à l’École des beaux-arts, par M. Anatole de Montaiglon.