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Elevé. Les seuls mauvais tableaux deviennent plus épouvantables. » Les sculpteurs surtout donnaient un mal terrible. Après avoir choisi leurs places, ils les voulaient toujours changer. En 1787, l’Académie est obligée de prendre une mesure rigoureuse ; elle décide qu’on fera choisir « d’abord les plus anciens et de suite les cadets. » Peu de temps auparavant, profitant de l’absence des officiers de l’Académie, Caffieri avait, de sa propre autorité, transporté sa grande figure de Molière de la place qui lui était assignée et « l’avoit campée tout au travers du chemin et d’une croisée du cabinet de M. Amelot. » Ce M. Amelot était le commis de M. d’Angiviller, le directeur des bâtimens du roi. On juge de sa surprise quand, entrant chez lui, il n’y vit plus clair. Il fallut de force réintégrer Molière à sa première place.

Plus que ces petites querelles d’amour-propre, plus que tous ces mesquines tracasseries inséparables de toute organisation, ce qui semble alors exaspérer les académiciens et les dégoûter des expositions, toujours reprises par l’ordre exprès du roi, c’est l’impertinence des écrivains qui se permettent de juger leurs œuvres. Chaque Salon faisait déjà éclore une multitude de brochures, de pamphlets, de journaux qu’on vendait aux portes du Louvre ; cette licence les mettait hors d’eux-mêmes. Si l’on n’avait sous les yeux la correspondance de l’Académie avec la direction des bâtimens, on aurait peine à croire que des hommes de grand talent, mûrs et réfléchis, connaissant leur valeur, rompus aux difficultés de la vie, comme étaient la plupart d’entre eux, aient pu être aussi chatouilleux à des piqûres de plume, aussi incapables de supporter la discussion, aussi prompts à réclamer, pour des vivacités ou des légèretés qui leur semblent des crimes, les répressions les plus violentes. Le correspondant anglais de 1777, que nous avons déjà cité, en homme aguerri à la liberté de la presse, s’étonne fort de cette sensibilité des artistes français : « Ils ont aujourd’hui un chef, dit-il, qui, jaloux de ménager leur faiblesse, leur épargne, autant qu’il peut, ces mortifications. Autre abus sans doute, puisque la critique n’est pas moins utile au talent que la louange : l’une l’aiguillonne et l’éclaire, l’autre l’encourage quelquefois, mais le plus souvent l’engourdit. » Leur chef, M. d’Angiviller, prenait en effet la peine de lire, avant de les autoriser, toutes les brochures qu’on imprimait sur le Salon, mais il se lassa vite de cette inutile besogne. Ses lettres nous le montrent décidé à tout laisser passer et renvoyant tout au lieutenant de police : « Je me suis fait la loi de n’approuver ni désapprouver aucun des petits ouvrages de ce genre. Persuadé que toutes ces mauvaises plaisanteries affecteront peu les artistes et les gens sensés, je laisse à votre jugement et à celui du censeur le soin de voir ce qui peut être passé. » Plus tard, il écrit encore à